Licenciements “abusifs” : est-ce que cela vaut encore la peine de les contester ? (fr)

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Michèle Bauer, Avocat au barreau de Bordeaux
Juin 2019



Les licenciements appelés faussement “abusifs” (pour être rigoureux juridiquement, il convient de les appeler dépourvu de cause réelle et sérieuse ou illégitime) sont nombreux.


Ils sont pour certains très bien motivés, la lettre de licenciement est rédigée sur plusieurs pages sur lesquelles l’employeur détaille la plupart du temps des prétendues insuffisances professionnelles détaillant deux ou trois dossiers qui peuvent d’ailleurs être utilisés dans le cadre de plusieurs griefs.


D’autres licenciements se contentent de quelques lignes, il est reproché au salarié une mésentente ou une nonchalance au travail, un non-respect de certaines règles.


Le licenciement pour motif économique peut quelques fois être justifié par l’entreprise par un ou deux chiffres, des charges importantes sans plus de détails.


Lorsque le salarié reçoit sa lettre de licenciement après s’être rendu à son entretien préalable, il connait généralement les motifs qui lui ont été exposés lors de cette entrevue à laquelle il a la possibilité de se faire assister soit par un membre de l’entreprise si la Société pour laquelle il travaille a un effectif de plus de 11 salariés, soit par un conseiller du salarié si le salarié travaille pour une entreprise de moins de 11 salariés.


Les motifs du licenciement ne sont pas une surprise, toutefois, il est toujours difficile de les lire détaillés, noir sur blanc surtout lorsque ces derniers ne sont que des purs prétextes pour évincer le salarié qui a peu d’ancienneté ou encore celui qui en a trop et qui coûte désormais cher (trop cher) à l’entreprise.


Pour cette dernière catégorie de salariés anciens, l’entreprise, si son souhait est de les évincer, aura beaucoup plus de mal à trouver des motifs, ces salariés étant pour la plupart exemplaires dans leur travail.


Pour ce dernier cas, la stratégie d’évincement pourra être de surcharger “l’ancien”de travail ou au contraire de ne pas lui en donner dans le but qu’il craque et dans l’espoir qu’il donne sa démission.


Un motif “à la mode” et astucieusement mis en place par certaines entreprises pour ces anciens salariés trop chers est de prétendre que ce dernier a des méthodes de management qui ont des conséquences graves sur la santé et la sécurité de ses collègues de travail, en bref que ce salarié qui a bien fait l’affaire durant 25 ans harcèlerait ses petits “camarades” et qu’il est du devoir de l’employeur de les protéger et par conséquent de le licencier.


C’est un motif que j’ai pu croiser dans plusieurs de mes dossiers et les salariés collègues du méchant “ancien” témoigneront un peu sous la pression et peut-être aussi dans certains cas car ils sont allergiques au pouvoir de direction.


Lorsque le salarié est licencié sans cause réelle et sérieuse, il réfléchira inévitablement à l’opportunité ou non de contester son licenciement devant le Conseil de Prud’hommes.


Depuis 2017, la question de l’opportunité d’agir devant le Conseil de Prud’hommes est encore plus inévitable car désormais les juridictions sont normalement tenues de respecter un plafonnement d’indemnisation, le fameux barème “Macron”.


Ce barème a été mis en place pour soit disant “sécuriser” les employeurs qui souhaiteraient licencier en leur permettant de connaître par avance le “prix” d’une violation du code du travail et en ne laissant plus aucune marge de manœuvre au magistrat qui se contentera tel un automate de condamner les Sociétés indélicates à un montant de dommages et intérêts conformes au barème.


Il a été critiqué dès son annonce par le Syndicat des Avocats de France, la loi travail prévoyait sa mise en place, le Conseil constitutionnel l’a invalidée.


Sortie par la porte, le barème est revenu par la fenêtre avec un seul mot martelé par les communicants la “sécurité pour les employeurs” sans jamais parler de la sécurité du salarié, de ce qu’est et sera toujours un contrat de travail, une relation de subordination, inégalitaire qui exige de par son essence même une protection du salarié, de la partie la plus faible.


Laisser le juge statuer au cas par cas sur le montant des dommages et intérêts lorsqu’un licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse c’est protéger le salarié de la toute puissance de son employeur qui peut le licencier pour n’importe quoi, le licenciement ne pouvant être contesté qu’a posteriori, il n’existe pas de contrôle a priori (sauf pour les salariés protégés).


Finalement, pour un employeur connaître par avance combien au maximum il faudra payer pour évincer sans motif un salarié lui permet de ne plus s’embêter à trouver des motifs pour justifier son licenciement, une lettre de deux lignes avec “je vous licencie Monsieur car vous ne me donnez plus satisfaction” suffira !


Le salarié licencié de la sorte hésitera à saisir le Conseil de Prud’hommes, la plupart du temps ce genre de lettre de licenciement est réservé au salarié qui bénéficient d’une ancienneté de 1 ou deux ans.


Le plafonnement est faible: les juges pourraient lui accorder entre deux et trois et demi mois de salaires bruts au maximum.


Pour ce salarié, le jeu en vaut-il la chandelle, surtout si ce dernier est rémunéré 1200 euros, qu’il ne peut pas bénéficier de l’aide juridictionnelle pour “éviter” les frais d’avocat ?


Pour le salarié plus ancien le même problème se posera aussi car la plupart du temps, son employeur l’aura licencié pour des motifs assez compliqués à contester soit parce que ce sont des motifs d’insuffisance professionnelle, pour cause réelle et sérieuse, il aura perçu une indemnité importante de licenciement s’il gagnait bien sa vie, il peut se dire à quoi bon agir en justice pour obtenir des dommages et intérêts plafonnés et finalement peu importants par rapport au préjudice subi et à son âge.


Souvent, ce n’est que si le salarié “ancien” est licencié pour faute grave et pour des motifs fallacieux qu’il n’hésitera pas à saisir le Conseil de Prud’hommes pour obtenir au moins son indemnité de licenciement qui est la contrepartie de toutes ses années passées au sein de la Société.


Certains salariés anciens préféreront aussi la négociation, le plus fréquemment cadres dans la Société, ils se voudront discrets afin de pouvoir retrouver du travail dans le même secteur d’activité sans avoir un fil à la patte, le fil de la procédure prud’homale.

Ces deux catégories de salariés à réception de leur lettre de licenciement, si les griefs sont dépourvus de cause réelle et sérieuse se poseront la question ” de mettre leur employeur aux prud’hommes”.


Si j’ai un conseil à leur donner c’est de tenter cette action malgré le plafonnement “Macron” parce qu’à mon sens ce plafonnement sera bientôt considéré comme non conforme aux textes internationaux.


Je ne pense pas faire preuve d’un optimisme démesuré en formulant une telle annonce, peut-être que je fais preuve d’un optimisme peu prudent.


Comme vous le savez, ou peut-être l’ignorez vous, mais ces derniers mois il était difficile de “passer à côté”, plusieurs Conseils de Prud’hommes ont écarté le barème dit Macron, j’en ai compté 21 peut-être qu’il y en a plus… Un juge départiteur (celui d’Agen) a considéré aussi que le barème ne devait pas s’appliquer car il était inconventionnel.


Ces juridictions se sont fondées sur l’article 10 de la Convention de l’OIT et surtout l’article 24 de la Charte sociale européenne et son exigence de réparation adéquate.


Ce barème ne respecterait pas cette exigence.


Tous les conseils de prud’hommes ont repris l’argumentation du Syndicat des Avocats [1] de France que vous pouvez consulter et télécharger sous le format word, elle est laissée à la disposition des syndicats de salariés et des avocats qui souhaitent soulever cette inconventionnalité.


J’ai le souvenir que lorsque le SAF a mis en ligne cet outil, qui s’avère aujourd’hui redoutable, certains de la doctrine bien pensante et sans doute patronale ont considéré cet outil comme un simple gadget, le SAF était ignorant le Conseil constitutionnel avait validé alors il fallait laisser tomber…


Sauf que le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conventionnalité d’une loi ou d’une ordonnance à un texte international !


Les mêmes qui ont prédit l’échec de cet argumentaire devant les juridictions demandent aujourd’hui que le Conseil constitutionnel contrôle aussi la conventionnalité, reconnaissant à demi-mot que la décision du Conseil constitutionnel ne suffit pas à valider les barèmes.


La fronde des conseils de prud’hommes n’a pas plu au Ministère de la Justice qui n’a pas hésité à s’immiscer dans le débat en demander à tous les Procureurs de la République d’intervenir durant les audiences où il est question d’écarter les barèmes, histoire de mettre un peu de pressions sur les conseillers prud’hommaux qui ont été considérés par le Ministère du travail comme pas assez formés.


La Cour d’appel de Paris tout récemment a saisi le parquet afin de prendre son avis dans une affaire où il était question de barèmes mais pas que, la demande principale était la nullité du licenciement pour discrimination (cas où le plafonnement ne s’applique pas ).


Le Ministère Public n’a pas surpris, il a soutenu bec et ongles, avec des arguments de parfaite mauvaise foi le plafonnement des indemnités pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.


Délibéré le 8 septembre 2019, pas certaine qu’il statue sur la question du barème.


Le Conseil de Prud’hommes de Louviers et celui de Toulouse ont saisi pour avis la Cour de cassation alors qu’elle a déjà refusé de donner son avis sur des questions de conventionnalité (en 2002 [2] et 2017 [3]).


Non-avis prévu le 8 juillet 2019.


Les yeux de tous les syndicats, de tous les salariés licenciés “abusivement”, de leurs avocats, du Syndicat des avocats de France sont désormais tournés vers la Cour d’appel de Reims qui examinera en deuxième instance les premiers jugements (de Troyes) écartant le barème, ceci le 17 juin 2019 (à un jour près c’était un appel à la résistance!), le délibéré sera fixé un peu plus tard (au mois de septembre ?, on l’ignore à ce jour).


Sans aucun doute que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris ou/et de Reims fera l’objet d’un pourvoi en cassation, cette question devant être tranchée pour les employeurs au nom d’une “sécurité” des ruptures et du côté des salariés au nom d’une sécurité de leurs emplois et une juste indemnisation de leur rupture.


Il semble judicieux en attendant que la Haute juridiction tranche de saisir le Conseil de Prud’hommes pour contester un licenciement qui n’est pas motivé par une cause réelle et sérieuse… Le doute profite au salarié dit le Code du travail, on peut ajouter que l’insécurité de ce barème lui profite également.