Nullité de l’assignation en justice délivrée par un huissier à l’ancienne adresse du domicile du défendeur (fr)

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Anthony Bem, avocat au barreau de Paris [1]
Novembre 2021




L’assignation qui n’a pas été signifiée à la personne ou au domicile des défendeurs est-elle valable si le demandeur a volontairement omis de communiquer à l’huissier les renseignements qui lui auraient permis de la signifier ? Nullité de l’assignation en justice délivrée par un huissier à l’ancienne adresse du domicile du défendeur

Un procès est un combat où tous les coups bas ne valent pas.


Pour mémoire, la loi prévoit que les assignations en justice n’ont pas obligatoirement à être signifiées à la personne ou au domicile des défendeurs pour initier valablement une procédure judiciaire.


En effet, même si l’assignation n’est pas remise en mains propres à la personne concernée, elle est tout de même valable sous certaines conditions.


À cet égard, l’article 655 du code de procédure civile dispose que si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.


L’huissier de justice doit relater dans l’acte les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification.


La copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire.


La copie ne peut être laissée qu’à condition que la personne présente l’accepte et déclare ses nom, prénom et qualité.


L’huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l’avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise.


L’article 659 du même code dispose que lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.


Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l’acte, objet de la signification.


Le jour même, l’huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité.


Cependant, le 16 septembre 2021, la cour d’appel de Bourges a jugé que l’assignation qui n’a pas été signifiée à la personne ou au domicile des défendeurs est nulle si le demandeur a volontairement omis de communiquer à l’huissier instrumentaire les renseignements qui lui auraient permis de la signifier. (Cour d’appel de Bourges, 16 septembre 2021, n°20/01084 )


En l’espèce, une société a contracté des crédits auprès de la banque Crédit Agricole dont les gérants se sont portés caution solidaire du remboursement.


Suite à des échéances de remboursement de prêt impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme et a mis en demeure les cautions de lui régler les échéances impayées.


La société a été placée en liquidation judiciaire et suivant exploit d’huissier a assigné les cautions devant le Tribunal de Commerce aux fins de les voir solidairement condamnées au paiement de la totalité de la dette.


L’assignation était entachée d’une irrégularité puisqu’elle avait été signifiée à une mauvaise adresse de sorte que les cautions ont été mises dans l’impossibilité d’organiser et de présenter leur défense devant le tribunal.


Néanmoins, le tribunal a notamment retenu que les documents produits par la banque établissaient le caractère incontestable de sa créance.


Les cautions ont donc interjeté appel de ce jugement.


Pour cause, l’acte introductif d’instance mentionne que l’huissier de justice disposait à titre d’adresse des cautions déclarée par la banque, celle du siège social de la société débitrice placée en liquidation judiciaire.


L’huissier instrumentaire s’est ainsi présenté à cette adresse où il a constaté qu’aucune personne physique ne répondait à l’identification des destinataires de l’acte et ne correspondait ni à leur domicile, résidence ou lieu de travail.


Il a de ce fait engagé des recherches auprès du voisinage, de la mairie et de la gendarmerie ainsi que sur internet, au détour desquelles il a appris que la boulangerie était fermée depuis plusieurs mois et que les cautions ne demeuraient pas à cette adresse.


L’huissier a en conséquence dressé un procès-verbal de signification conformément aux dispositions de l’article 659 précité.


Toutefois, la banque disposait de deux autres adresses pour les cautions dont celle mentionnée dans le contrat de prêt, dans les engagements de caution solidaire ainsi que celle où elle a systématiquement expédié les courriers destinés aux cautions qui ont notamment été produits en procédure.


Les courriers recommandés envoyés aux cautions ont été retournés à leur expéditeur avec pour motif de non-distribution et retour inscrit par les services postaux : « Pli avisé et non réclamé », ce dont il se déduit que cette adresse postale était bien la leur.


De surcroît, les juges ont relevé que la banque ne pouvait pas ignorer la cessation d’activité de la société, dans la mesure où elle avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire dans le cadre de laquelle la banque avait déclaré sa créance.


La liquidation de la société a d’ailleurs manifestement déterminé la banque à ne plus envoyer de courrier destiné à la société à l’ancienne adresse mais à celle personnelle des cautions.


La banque ne pouvait ainsi, de bonne foi, mandater l’huissier instrumentaire aux fins de délivrance d’un acte introductif d’instance aux cautions à l’adresse dont il lui était impossible d’ignorer qu’elle ne permettrait pas de signifier valablement l’acte en cause aux gérants de la société liquidée.


Dans ce contexte, les juges de la Cour d’appel de Bourges ont jugé le 16 septembre 2021 que la banque a volontairement fait échec au principe du contradictoire en ne communiquant pas à l’huissier instrumentaire les renseignements qui lui auraient permis de signifier l’assignation à la personne ou au domicile des défendeurs


L’irrégularité de l’acte introductif d’instance est entachée de nullité et fait grief aux cautions en les mettant dans l’impossibilité d’organiser et de présenter leur défense devant le tribunal en première instance et en les privant d’un double degré de juridiction.


En conséquence, la Cour a annulé l’assignation et consécutivement le jugement rendu ensuite de cette assignation par le Tribunal de commerce.