Obligations alimentaires en droit européen et en droit international (int)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Compte-rendu de la Conférence « Campus 2013 » réalisé par la rédaction de Lexbase,

Intervenant : Véronique Chauveau, avocat au Barreau de Paris,
Campus 2013


I - La notion d'aliments en droit international privé

Les aliments n'ont pas de définition concrète en droit international privé, mais ce dernier n'ignore pas le droit aux aliments dont bénéficie tout individu au nom de la vie.

Il ressort des conventions que les aliments en droit international privé sont : "toutes les catégories de prestations dont une personne a besoin pour sa subsistance, quelles que soient leur dénomination ou leur classification conceptuelle dans les systèmes juridiques".

Ils sont constitués de l'ensemble des prestations destinées à subvenir aux besoins du créancier de l'obligation : prestation compensatoire, devoir de secours, contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants, etc..


II – Les sources de droit international privé concernant les obligations alimentaires

Avant le 18 juin 2011, la compétence et la loi applicable aux obligations alimentaires étaient essentiellement déterminées, d'une part, par la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, d'autre part, par le Règlement européen n ̊ 44/2001 du décembre 2000, dit "Bruxelles I". Mais la convention n'ayant pas été ratifiée par le nombre requis d'État, elle était inapplicable, et le Règlement comme chacun sait, n'était applicable qu'au sein de l'UE. Une réforme est apparue nécessaire en vue de poursuivre les objectifs suivants : sécurité́ juridique ; unification des règles de conflits de loi ; reconnaissance automatique de la force exécutoire des jugements étrangers ; rapprochement des règles procédurales ; mise en place d'outils facilitant l'exécution des décisions ; renforcement de la coopération judiciaire en matière civile, au sein de l'Union européenne et à l'égard des pays tiers.

C'est ainsi que le Règlement CE 4/2009 du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires, est entrée en application le 18 juin 2011, remplaçant le Règlement "Bruxelles I".

Le champ d'application matériel du Règlement CE 4/2009 est déterminé par l'article 1er qui prévoit qu'il s'applique à toutes les obligations alimentaires "découlant des relations de famille, de parenté, de mariage, d'alliance qui existent dans les États membres".

Dans l'espace européen, tous les États de l'Union sont liés par le Règlement CE 4/2009. Il s'applique si l'un des chefs de compétence est réalisé́ sur le territoire d'un État membre, alors que "Bruxelles I" ne s'appliquait que lorsque le défendeur était domicilié́ sur le territoire d'un État membre.

S'agissant du champ d'application temporel, le Règlement s'applique aux procédures engagées après le 18 juin 2011.

Par ailleurs, le Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments aux enfants et à d'autres membres de la famille, ratifié le 6 avril 2011 par l'Union européenne, remplace la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 et la Convention de La Haye du 24 octobre 1956 sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants.

Ce protocole détermine la loi applicable aux obligations alimentaires découlant de relations de famille, de filiation, de mariage ou d'alliance, y compris les relations alimentaires envers un enfant indépendamment de la situation matrimoniale de ses parents.

Il faut savoir que le Protocole a été signé et ratifié par l'Union européenne, mais n'a pas été ratifiée par le Danemark et le Royaume-Uni.

L'article 2 prévoit qu'il est d'application universelle, c'est-à-dire qu'il est applicable même si la loi qu'il désigne est celle d'un État non contractant. S'agissant du champ d'application temporel, il ne s'applique pas aux aliments réclamés dans un État contractant pour une période antérieure à son entrée en vigueur dans cet État, c'est-à-dire le 18 juin 2011d'après le Règlement CE 4/2009.

Cas pratique :

Isabelle, de nationalité française et Luciano, de nationalité italienne, vivant tous deux en France, se sont aimés... Puis, Luciano et Isabelle se sont installés en Allemagne où ils se sont mariés le 22 juin 2012. Adriana est née quelques mois plus tard, la famille a gardé́ sa résidence en Allemagne. Le couple divorce en 2013.

Quels textes faudra-t-il appliquer pour résoudre en droit international privé les questions d'obligations alimentaires qui naitront entre Isabelle et Luciano?

Le Règlement CE 4/2009 déterminera le juge compétent car il s'agit d'obligations alimentaires, dont l'exécution sera demandée au sein de l'Union européenne et la procédure sera engagée après le 18 juin 2011.

Le Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 déterminera la loi applicable pour les mêmes raisons, le litige ne se déroulant ni au Danemark, ni au Royaume-Uni.


III - La détermination du juge compétent en matière d'obligation alimentaire

L'article 3 du Règlement CE 4/2009 offre plusieurs options de compétence : — la juridiction du lieu de résidence du défendeur ; — la juridiction du lieu de résidence du créancier d'aliments ; — la juridiction devant laquelle a été portée une action relative à l'état des personnes lorsque la demande d'obligations alimentaires est accessoire ; — la juridiction devant laquelle a été portée une action relative à la responsabilité́ parentale lorsque la demande d'aliments est accessoire a cette action (cf. Règlement n ̊ 2201/2003 Conseil du 27 novembre 2003, dit "Bruxelles II bis" N° Lexbase : L0159DYK), qui désigne la juridiction du lieu de résidence habituelle de l'enfant).

Mais l'article 4 du Règlement CE 4/2009 laisse également place au choix des parties (sauf lorsque le litige concerne une obligation alimentaire à l'égard d'un enfant mineur). Les parties peuvent alors notamment designer la juridiction de la résidence habituelle d'une des parties ou la juridiction de la nationalité de l'une ou l'autre des parties. Concernant les obligations alimentaires entre époux ou ex-époux, ils pourront choisir la juridiction compétente pour connaitre de leurs différends en matière matrimoniale, ou la juridiction de l'État membre qui a été celui de leur dernière résidence habituelle commune pendant au moins un an. Ces conditions doivent être réunies au moment de la conclusion de la convention relative à l'élection de for ou au moment de l'introduction de l'instance. La compétence attribuée par convention est exclusive, sauf si les parties en disposent autrement.

Cas pratique :

Sven, de nationalité suédoise épouse Susana, de nationalité portugaise, sur une plage du Costa Verde le 12 novembre 2008. Installés depuis quelques temps au Portugal, le couple adopte des jumeaux.

Cinq ans de mariage plus tard, Sven et Susana ont souhaité́ divorcer amiablement.

Quelle juridiction peuvent-ils designer ensemble pour la question des obligations alimentaires ?

Selon l'article 4 du Règlement CE 4/2009, les parties peuvent choisir soit la juridiction de la résidence habituelle d'une des parties ou la juridiction de la nationalité de l'une ou l'autre des parties. Sven est de nationalité suédoise et Susana, portugaise. Leur résidence habituelle est au Portugal. Donc, Susana est Sven peuvent choisir soit le juge portugais soit le juge suédois.


IV - La détermination de la loi applicable aux obligations alimentaires

A - Cas des états membres liés par le Protocole de la Haye du 23 novembre 2007

Pour déterminer la loi applicable, l'article 15 du Règlement CE 4/2009 renvoie au Protocole de la Haye du 23 novembre 2007, pour les États membres liés par cet instrument.

Dès lors, le principe est que la loi de l'État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires (Protocole de La Haye du 23 novembre 2007, art. 3). Pour déterminer la résidence habituelle, qui est une notion autonome en droit européen, on peut se référer à l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 décembre 2005 (Cass. civ. 1, 14 décembre 2005, n ̊ 0510.951, FSP+ B+R+I N° Lexbase : A9535DLQ ; "la résidence habituelle, notion autonome du droit communautaire, se définit comme le lieu où l'intéressé́ a fixé, avec la volonté́ de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts") ; s'agissant des enfants, il convient de se reporter à la jurisprudence de la CJUE, qui s'est prononcée à ce sujet le 2 avril 2009 (CJCE, 2 avril 2009, aff. C523/07 N° Lexbase : A3008EE7, dont il ressort que "la notion de résidence habituelle', au titre de l'article 8, paragraphe 1, du Règlement n ̊ 2201/2003, doit être interprétée en ce sens que cette résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l'enfant dans un environnement social et familial ; à cette fin, doivent notamment être pris en considération la durée, la régularité́, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d'un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l'enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par l'enfant dans ledit État".

Mais l'article 8 du Protocole de La Haye de 2007 prévoit également que les parties peuvent choisir d'appliquer à leur litige : — la loi de l'État dont l'une des parties a la nationalité ; — la loi de l'État de la résidence habituelle de l'une des parties ; — la loi désignée par les parties pour régir leurs relations patrimoniales ou celle effectivement appliquée à ces relations ; — la loi désignée par les parties pour régir leur divorce ou leur séparation de corps ou celle effectivement appliquée à ce divorce ou cette séparation (cf. Règlement CE 1259/2010, dit "Rome III" du 20 décembre 2010 N° Lexbase : L0201IP7, entré en application le 21 juin 2012).

Il faut toutefois savoir que l'accord ne peut porter sur des obligations alimentaires concernant une personne âgée de moins de dix-huit ans ou un majeur protégé́.

Par ailleurs, seule la loi de l'État de la résidence habituelle du créancier, au moment de la désignation, détermine si le créancier peut renoncer à son droit à des aliments.


B – Cas du Danemark et du Royaume-Uni

Dans le cas du Danemark et du Royaume-Uni, la loi applicable est déterminée par leurs lois nationales respectives.

Cas pratique :

Hilmëkka, de nationalité belge et finnoise a passé́ sa jeunesse à Anvers, en Belgique. A la sortie de l'Université́, elle s'est mariée avec Adonis, citoyen polonais et grec. Au cours de leur voyage de noces, les deux époux sont tombés sous le charme de la capitale luxembourgeoise et ont décidé́ de s'y installer de façon permanente.

Après trois enfants et plusieurs années de mariage, Hilmëkka a réalisé́ que la maternité́ et le mariage ne l'intéressaient pas autant que sa carrière d'écrivain et qu'elle souhaitait partager sa vie avec son amie Ulla.

Les époux ont décidé́ de divorcer. Adonis, qui a obtenu la résidence des enfants, est resté avec les enfants au Luxembourg, entretemps, Hilmëkka est partie à Helsinki. Adonis veut obtenir une décision contre Hilmëkka, et il voudrait savoir quelle est la loi applicable aux obligations alimentaires.

La situation étant conflictuelle, il semble peu probable que les parties choisissent ensemble la loi applicable (Protocole de la Haye, art. 8). L'article 3 du Protocole de la Haye du 23 novembre 2007 dispose que "La loi de l'État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires". Adonis étant le créancier, c'est bien le droit luxembourgeois qui trouvera à s'appliquer.

Pour se faire une idée sur le droit comparé, afin de déterminer la loi de l'État qu'il convient de privilégier dans le cadre d'un litige, lorsqu'un choix est possible, les avocats peuvent se reporter au site jafBase (http ://ja_ase.fr/) (jaFBase est une base de données de conventions internationales créée par Cyril Roth, magistrat français, et de textes de droit de fond applicables aux litiges à composante internationale pouvant être portés devant le juge aux affaires familiales français, spécialement en matière de divorce), ou encore au site du réseau judiciaire européen (http ://ec.europa.eu/civiljustice/ index_fr.htm).


V – La reconnaissance et l'exécution des décisions en matière d'obligation alimentaire

A – La reconnaissance des décisions

Avant le 18 juin 2011, l'exequatur des jugements étrangers relatifs aux obligations alimentaires n'était pas automatique et la décision n'avait donc d'effet que dans le pays où elle était rendue...

Depuis le 18 juin 2011, l'exequatur est simplifié. En effet, la procédure d'exéquatur est supprimée pour les États membres liés par le Protocole de la Haye de 2007, c'est-à-dire pour tous les États membres de l'UE, à l'exception du Danemark et du Royaume-Uni.

Dans le cas des États membres liés par le Protocole de La Haye de 2007, l'article 17 du Règlement CE 4/2009 prévoit qu'une décision rendue dans un État membre lié par le Protocole de La Haye de 2007 est reconnue dans un autre État membre sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure et sans qu'il soit possible de s'opposer à sa reconnaissance. De même, une décision rendue dans un État membre lié par le Protocole de La Haye de 2007 qui est exécutoire dans cet État jouit de la force exécutoire dans un autre État membre sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire.

S'agissant des décisions rendues dans les États membres du Règlement CE 4/2009, mais non membres du Protocole de La Haye de 2007, le principe est celui de la reconnaissance des décisions. Les décisions rendues dans un État membre non lié par le Protocole de La Haye de 2007 sont reconnues dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure (Règlement CE 4/2009, art. 23). Toutefois, lorsqu'une décision a été rendue dans un État membre non lié par le Protocole de la Haye de 2007, sa reconnaissance peut être contestée.

Les motifs de refus de reconnaissance d'une décision rendue dans un État non membre du Protocole de La Haye de 2007 sont précisés à l'article 24 du Règlement CE 4/2009 : — contrariété à l'ordre public ; — violation des droits de la défense ; — décision inconciliable avec une décision déjà̀ rendue et exécutoire ou exécutable dans un des États membres.


B - L’exécution des décisions

— La mise en place d'une coopération entre autorités centrales étatiques

Les articles 49 à 63 du Règlement CE 4/2009 instituent une coopération entre autorités centrales étatiques. Chaque État membre est tenu de designer une autorité́ centrale, qui sera chargée d'engager toutes les démarches nécessaires au recouvrement des aliments dans un autre État membre. En France, il s'agit du Bureau du recouvrement des créances alimentaires du ministère des Affaires étrangères. Les autorités centrales ont pour mission de fournir assistance en transmettant la demande à l'autorité́ centrale de l'État requis en vue d'obtenir des aliments et d'assurer l'exécution rapide des décisions.

— L'aide judiciaire gratuite pour les demandes d'aliments destinées aux enfants introduites par l'intermédiaire des autorités centrales

Les États membres sont tenus de fournir une aide judiciaire gratuite pour les demandes d'aliments destinées aux enfants introduites par l'intermédiaire des autorités centrales (Règlement CE 4/2009, art. 46)

Cas pratique :

Une lituanienne épouse un letton le 14 février 2003, à Helsinki en Finlande. Le couple s'installe en Espagne. Dix ans plus tard, l'épouse souhaite divorcer. Quelle juridiction peut-elle saisir ? Quelle est la loi applicable au divorce ?

S'agissant, tout d'abord de la juridiction compétente pour le divorce, pour rappel, en Europe, le Règlement CE 2201/2003 dit "Bruxelles II bis", est applicable pour les actions en divorce intentées après le 1er mars 2005. L'article 3 offre une option au demandeur pour : — la juridiction de la résidence habituelle, commune ou séparée ; — la juridiction de la nationalité commune des époux.

En l'espèce, les époux n'ayant pas la même nationalité, et ayant leur résidence habituelle en Espagne, seules les juridictions espagnoles sont compétentes.

Pour ce qui est de la loi applicable au divorce, le Règlement CE 1259/2010 dit "Rome III" détermine la loi applicable au divorce pour les actions intentées après le 21 juin 2012... L'Espagne fait partie des 15 États membres qui y participent (avec l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la France, l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie).

L'article 8 renvoie (à défaut de choix des parties) à : — la loi de la résidence habituelle commune ou séparée ; — la loi de la nationalité commune des époux ; — la loi dont la juridiction est saisie.

En l'espèce, la loi espagnole sera donc applicable au divorce.

Quid de la compétence et de la loi applicable aux obligations alimentaires à défaut de choix des parties ?

Conformément au Règlement CE 4/2009, le juge espagnol est compétent. Conformément au Protocole de La Haye du 23 novembre 2007, la loi applicable est en principe celle de la résidence habituelle du créancier d'aliment (article 3), soit la loi espagnole en l'espèce.

Voir aussi

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