Obstacles au développement de la télévision mobile personnelle en France (fr)

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La télévision mobile personnelle ou TMP consiste en une offre de services audiovisuels diffusés sur des terminaux mobiles individuels. Les terminaux concernés regroupent aussi bien les téléphones, agendas électroniques ou ordinateurs portables que les récepteurs installés dans les véhicules. Ces services sont constitués de programmes classiques (retransmission simultanée d'émissions de télévision par voie terrestre, par câble, satellite ou ADSL) et de services plus en adéquation avec une consommation nomade.

Historique

La TMP permet ainsi à l'utilisateur de visionner les différents programmes de télévision sur son téléphone ou sur tout autre terminal à proximité, où qu'il se trouve. Elle a déjà été lancée au Japon, en Corée du sud, en Italie, en Allemagne ainsi qu'en Finlande. En France, les opérateurs mobiles proposent à leurs abonnés depuis 2004 des offres de télévision en direct via les réseaux 3G et Edge mais en mode unicast. Etant donné le risque d'encombrements que génèrent ce type de connexion, les utilisateurs attendent impatiemment l'arrivée d'une TMP en mode broadcast. Possédant une bonne base de conversion aux futures offres TMP, le pays semblait offrir un développement propice : premier parc européen d'utilisateurs de la télévision mobile 3G (plus de 1,2 millions en 2007), 25 % des 55 millions d'abonnés mobile se disaient intéressés par la TMP (Harris Interactive en octobre 2007)... Par ailleurs au niveau du contenu, le conseil supérieur de l'audiovisuel avait sélectionné 16 chaînes aussi bien généralistes (TF1, M6, etc) que d'information (BFM, I-Télé) ou sportives (Eurosport, Orange Sport). Mais outre des difficultés techniques, le ralentissement du développement de la TMP en France s'explique par des facteurs économiques et législatifs.

Les obstacles techniques : le choix du mode de connexion et le choix de la norme

La TMP se définit en pratique par le type de terminal utilisé, en l'occurrence le téléphone portable et se décline selon deux modèles de fonctionnement : l'unicast et le broadcast.

Le mode unicast

Le terme est utilisé pour décrire un protocole de connexion point à point entre le client et le serveur. Cette connexion relie un téléphone portable à un émetteur radio de la cellule dans laquelle il se trouve. La taille de la cellule est fonction des conditions d'accès au réseau mais aussi de la bande de fréquences utilisée. Du fait du lien unique devant être établi entre le téléphone et l'émetteur de la cellule où il se trouve, la principale limite technologique réside dans le risque d'encombrement de celle-ci. Ces émetteurs ne peuvent en effet accepter qu'un nombre très restreint de connexions différentes simultanées, variable selon la technologie. Le risque de saturation est renforcé notamment par le développement récent de la consommation vidéo sur les smartphones et suscite les inquiétudes des opérateurs malgré le recours à une connexion multicast pour la diffusion de chaînes de télévision en direct. Sans parler des difficultés liées aux considérations environnementales et sanitaires que posent la multiplication des antennes relais, les opérateurs doivent aujourd'hui gérer le succès de la TMP avec précaution compte tenu des investissements nécessaires pour densifier le réseau.

Le mode broadcast et la question du choix de la norme

Le broadcasting permet la diffusion de données à un ensemble de terminaux (ici, les téléphones portables) connectés à un même réseau. Techniquement, la cellule est ici d'une taille plus importante (émetteur de la Tour Effeil). L'avantage de ce mode de diffusion est d'une part l'absence de risque de saturation : l'entrée d'un utilisateur supplémentaire n'endommage pas la qualité de la réception du signal. D'autre part, les études de satisfaction témoignent d'une réelle stabilité et qualité du signal de réception. Si l'un des inconvénients de la solution broadcast est qu'elle ne permet notamment pas d'offrir de la vidéo à la demande, le soucis majeur tient au fait que les normes utilisées pour ce type de connexion sont diverses.

Afin de garantir une interopérabilité transfontalière au niveau européen, il est important de décider rapidement d'une norme à utiliser. En 2007, l'Europe s'est prononcée en faveur du standard DVB-H. Le DVB-H (Digital Video Broadcasting) est un système de radiodiffusion hertzienne numérique destiné à une réception sur un terminal mobile, système adapté du DVB-T utilisé pour la télévision numérique terrestre. D'abord choisi par Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication de l'époque et soutenue par la Commission européenne, le standard DVB-H a été finalement jugé trop coûteux pour être mis en place en France. Le DVB-H est opérationnel depuis l'été 2006 en Italie, fin 2007 en Albanie, l'été 2008 en Autriche et fin 2009 en Finlande. Son succès demeure limité. Le DVB-SH, norme européenne faisant partie de la famille DVB est un système hybride intéressant qui permet la réception de contenus par satellites et par répéteurs terrestre complémentaires. Malheureusement, le consortium Solaris (association de SES Astra et Eutelsat) a vu son satellite lancé en avril 2009 pour développer des services DVB-H souffrir de graves problèmes d'antenne, dégradant ainsi ses performances de manière significative. L'IMB (Integrated Mobile Broadcast) est un autre standard qui réutilise quant à lui des fréquences déjà attribuées aux opérateurs 3G et qui propose l'accès des services compatibles avec les terminaux actuels. Le système japonais de télévision numérique terrestre ISDB-T, également adopté par le Brésil et par l'Amérique Latine découpe chaque canal en treize segments dont l'un est utilisé pour la TMP. Mais avec ce système, la diffusion est gratuite ce qui pose le problème d'un modèle économique non viable. Enfin une variante de cette approche broadcast consiste en une utilisation du satellite. C'est le cas de la norme S-DMB en Corée utilisée pour la télévision payante mais avec un succès là aussi limité.

Vers une complémentarité des deux systèmes ?

Si la logique voudrait que l'on utilise le broadcast pour la diffusion en direct de la télévision et le mode unicast pour tout ce qui relève de la vidéo à la demande, le problème est que selon les bandes de fréquences utilisées, les technologies diffèrent. Néanmoins, ce qui pourrait rendre possible cette intégration, c'est l'existence de puces de réception acceptant tous les types de normes susceptibles d'être intégrées dans un téléphone portable. Dans ce domaine, la jeune pousse française DiBcom est leader sur le marché. Il est également possible d'imaginer des infrastructures communes : des essais de DVB-SH ont permis de valider l'éventuelle réutilisation de bases d'antennes 3G pour y installer des réémetteurs SH.

Les incertitudes françaises autour du DVB-H semblent révéler l'hésitation des opérateurs français à une telle mise en oeuvre. Mais si Orange à l'instar de ses confrères français, a jusqu'à présent montré peu d'enthousiasme à contribuer au financement de l'infrastructure broadcast, Orange Autriche vantait en avril dernier les mérites du DVB-H au point d'avoir même renoncé à offrir la télévision en 3G pour les raisons de qualité précédemment évoquées.

Les obstacles économiques

Le choix du modèle économique

La secrétaire d'État chargée du développement de l'économie numérique a rappelé selon un communiqué la nécessité de déterminer un modèle économique et de définir les différents acteurs de la chaîne de valeurs (diffuseurs, opérateurs, fabricants de terminaux, etc) en matière de TMP. Les questionnements restent nombreux. En effet, doit-on faire payer les chaînes de la TMP ou au contraire les rendre gratuites et ainsi profiter d'une maturation accélérée ? Ou faut-il proposer un modèle similaire à la TNT, avec une majorité de chaînes gratuites et quelques unes payantes ? Le modèle payant intéresserait les opérateurs tandis que les chaînes penchent vers un modèle gratuit. Mais ces opérateurs seraient-ils les seuls dans ce cas à subventionner les téléphones portables compatibles DVB-H ou doit-on faire payer une redevance aux clients qui achètent un terminal compatible ?

Le démarrage de la TMP est bloqué depuis des mois faute d'entente entre les acteurs qui s'opposent sur le modèle économique à mettre en place. Depuis la sélection en 2008 de 16 chaînes par le conseil supérieur de l'audiovisuel pour constituer le premier bouquet de TMP, les discussions entre acteurs se sont enlisées, faute d'accord sur le modèle économique de ce service innovant, reconnaît la secrétaire d'Etat. En novembre 2009, les 16 chaînes retenues avaient écrit aux opérateurs mobiles pour leur demander quelle participation financière ces derniers apporteraient au projet, ainsi que des réponses sur la couverture réseau, la disponibilité des terminaux et le calendrier de lancement. Jean-Marc Tassetto, directeur général grand public et marketing de SFR, répondait en constatant que le déploiement dans les pays européens qui s'étaient lancés n'avaient pas rencontré le succès escompté. Chez Bouygues Télécom, on jugeait l'offre TMP difficilement monétisable face à concurrence gratuite abondante sur Internet, à la télévision et sur mobile.

Le financement et le déploiement du réseau

Là encore, plusieurs hypothèses ont été abordées mais aucune n'a encore été mise en oeuvre. Faut-il couvrir le territoire à 30 % avec du standard DVB-H et répartir le coût d'investissement estimé entre 60 et 75 millions d'euros entre les 16 chaînes sélectionnées, les 4 opérateurs mobiles et les autres acteurs de la TMP ? Faut-il privilégier un déploiement du standard DVB-H sur seulement 17 % du territoire financé à 100 % par TDF (Télédiffusion de France), et faciliter en parallèle l'adoption de la technologie DVB-H en imposant son intégration dans les terminaux mobiles ? Faut-il plutôt utiliser la variante DVB-SH ou réaliser un déploiement en deux temps, outdoor puis indoor ?

S'agissant du mode de financement proposé par les chaînes qui souhaitaient que les opérateurs financent 87 % des coûts de réseau, SFR et Bouygues Telecom manifestaient leur incompréhension, mettant en avant un déséquilibre manifeste au détriment des opérateurs mobiles. Les deux opérateurs ont exprimé leurs doutes sur la viabilité économique de la TMP puisque ni les opérateurs, ni les diffuseurs ne semblent vouloir payer pour son lancement.

Le lancement de la TMP pour 2011 ?

TDF a dévoilé le jeudi 22 avril dernier un accord passé avec la société Omer Telecom, qui commercialise en France les marques Virgin Mobile, Tele2 Mobile, Breizh Mobile et Casino Mobile, pour lancer la TMP dès l'an prochain. La TMP devrait être lancée en broadcast, ce qui permettrait d'offrir la meilleure solution de diffusion de la télévision en mobilité tout en préservant l'indépendance des opérateurs de réseaux télécom.

Ce lancement est soumis à l'approbation du conseil supérieur de l'audiovisuel ainsi qu'à l'accord entre TDF et les éditeurs de chaînes. Le réseau devrait couvrir 50 % de la population française de métropole au second semestre 2011 ce qui représente plus de 2 500 communes. Selon les deux partenaires, la télévision mobile personnelle sera proposée sur une gamme de téléphones, d'appareils spécifiques et d'accessoires permettant de rendre compatibles les terminaux existants. L'accord entre Omer Telecom et TDF devrait assurerer à Virgin Mobile et aux autres marques une exclusivité d'environ 6 mois. Au-delà, d'autres acteurs pourront aussi distribuer la télévision.

L'annonce TDF / Omer Telecom a réjoui la secrétaire d'Etat qui voit dans cet accord un étape décisive et les bases d'un modèle économique viable et durable pour la TMP en France.

La satisfaction gagne aussi les éditeurs. BFM TV estime en effet que l'offre de TDF et de Virgin Mobile devrait répondre aux attentes des utilisateurs que sont la gratuité, la continuité du service et un accès au plus grand nombre. Il ne reste plus aujourd'hui qu'à espérer que les chaînes ayant reçu l'autorisation d'émettre se réunissent afin de constituer rapidement le multiplex. TDF qui avait soumis l'idée début 2009 d'un lancement de la TMP à minima dans quelques unes des plus importantes agglomérations, se propose aujourd'hui de financer 100 % du réseau moyennant quelques dizaines de millions d'euros.

Les autres questionnements

L'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et / ou le CSA devront en effet établir des règles relatives à la gestion des droits audiovisuels, aux lignes éditoriales des différentes chaînes, aux quotas de diffusion et de production, etc. Concernant les offres de contenu, là encore tout reste à faire. Faut-il préférer un alignement des contenus existants tout en les adaptant à l'usage du mobile et en privilégiant un format plus court et des prises de vues différentes ? Seule certitude, la personnalisation et l'interactivité au sein des programmes seront au rendez-vous et garantiront un succès tant sur le plan des revenus additionnels générés que par la nature même du téléphone, spécialement conçu pour en tirer pleinement parti. S'agissant du contenu publicitaire, les clients seront avec l'arrivée de la TMP ciblés plus précisément avec un contenu adapté au support, à leurs goûts et à leur consommation. Les DRM (Digital Rights Managment) et les SCP (Small Card Profile) offrent la possibilité d'intégrer des éléments interactifs afin de permettre l'achat de produits sur mobiles ou la participation à des études et à des jeux concours.

En conclusion, il subsiste de nombreuses questions devant être rapidement tranchées au risque de voir la TMP envahir l'Hexagone au-delà du calendrier annoncé à la suite des accords entre TDF et Omer Telecom. Il ne restera plus qu'une question cruciale : les consommateurs répondront-ils présent ? Seront-ils prêts à payer quelques euros pour recevoir des chaînes de télévision sur leur téléphone ? De récents sondages laissent à penser que rien n'est moins sûr.

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.

Liens externes

Bibliographie

Chaptal, Alain, « Télévision mobile personnelle, une approche, deux solutions ? », février 2010.

Sources