Plaidoirie : Reyhaneh, pendue à Téhéran

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Auteur : Maître Rachel Franco, avocate au Barreau de Tel-Aviv
27e CONCOURS INTERNATIONAL DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS Dimanche 31 janvier 2016


Extrait de la lettre adressée à sa mère par Reyhaneh, quelques jours avant d’être pendue en haut d’une grue, lors d’une exécution publique à Téhéran.

« Le monde m’a permis de vivre pendant 19 ans. Durant cette nuit inquiétante, j’aurais dû être tuée. Mon corps aurait été jeté dans un coin de la ville, et après quelques jours, la police t’aurait conduite dans le bureau du médecin légiste, afin d’identifier mon corps. Là, tu aurais appris que j’avais également été violée.

Le meurtrier n’aurait jamais été retrouvé puisque nous n’avons ni sa richesse ni son pouvoir. Tu aurais alors continué ta vie dans la douleur et dans la honte, et quelques années plus tard tu serais morte de cette douleur. »


Reyhaneh a été condamnée à mort par pendaison, car son violeur a succombé aux coups donnés dans le cadre de sa légitime défense. Le violeur n’était pas n’importe qui, mais agent de l’État, au ministère des Renseignements.


Ces fonctionnaires sont redoutables. Ils prennent tous les droits sans avoir aucun devoir.


Ils décident de la vie ou de la mort de leurs concitoyens sur simple dénonciation et la plus petite suspicion suffit pour arracher d’une vie banale, des hommes et des femmes et les jeter dans l’enfer ignoble des prisons iraniennes. Ce pouvoir confère à ces fonctionnaires une toute-puissance dont ils s’abreuvent avec délectation.


Entendez-moi ! Tous les Iraniens sont concernés : les opposants au régime des mollahs, les homosexuels, les jeunes qui osent danser sur des musiques occidentales, les minorités ethniques et les femmes, bien sûr. Ce sont elles, les femmes, qui sont comme toujours les premières victimes du fanatisme religieux, les esclaves sexuelles des guerres et les assassinées des fameux crimes d’honneur. D’ailleurs dans les provinces profondes et les villes dites « modernes », les patrouilles de police de la Moralité veillent sévèrement à la moralité des femmes et des jeunes filles. Parfois, ils patrouillent à moto et jettent de l’acide sur les visages de femmes dites « immorales », au regard des lois de la charia.


Reyhaneh portait la beauté de ses dix-neuf printemps, mais le chasseur de jeunes filles avait ciblé sa proie. Il l’avait attrapée, mais cette gamine n’était pas facile. Comment osait-elle lui résister, lui si connu et redouté de tous ? Comment avait-elle cet affront ? Alors il l’a battu encore et encore, et encore, avec forte brutalité afin de la violer, et jeter son pauvre corps comme un chiffon sale.


Reyhaneh n’a pas su dire aux juges d’où lui était venue la force de se défendre, de griffer, de le frapper avec le premier objet qui s’était trouvé à portée de main. Elle a porté un coup fatal à son agresseur, mais ce coup s’est aussi retourné contre Reyhaneh.


Mesdames et Messieurs, elle avait la force du désespoir ! Reyhaneh ne voulait pas mourir, elle ne voulait pas être salie, ni vivre la honte clouée au ventre. Plus il frappait et plus elle comprenait que sa vie se terminerait avec cet individu abject qui cognait et cognait ; toutes les fibres de son être refusaient le viol, la mort, refusaient l’injustice qui lui était faite.


Elle était née pour vivre et non pour mourir, pour rire, non pour se lamenter. Elle était née pour fonder une famille, non pour être rejetée.


Venez avec moi, là-bas dans les prisons de Téhéran. Je veux qu’ensemble, nous accompagnions Reyhaneh, pour qu’elle soit moins seule.


Il n’y a pas de justice à Téhéran.


Reyhaneh a vécu sept longues années dans les couloirs de la mort de la terrible prison d’Evine, parce que l’article 33 du code iranien de procédure pénale ne fixe aucune limite à la durée de détention préventive.


Imaginez une minuscule cellule d’isolement ! Ces cellules sont des cagibis sales, obscurs, avec des souris, des cafards et une odeur insupportable d’urine.


Durant sept années, Reyhaneh a été fouettée, torturée. Elle a vécu dans des conditions épouvantables, couverte de crasse, le corps rongé par des plaies ouvertes.


Faut-il décrire les interrogatoires ? Les insultes grasses et vicieuses, les rires jouissifs devant sa peur ? Ses bourreaux diffusaient en chaîne des cassettes de hurlements des autres prisonniers sous la torture, histoire de nourrir l’imagination fébrile de la jeune fille.


Reyhaneh raconte son procès :

« Je n’ai pas versé une larme. Je n’ai pas supplié. Je n’ai pas pleuré toutes les larmes de mon corps, car je faisais confiance à la loi. Mais j’ai été accusée d’être indifférente au crime.»


Tu faisais confiance à la loi, douce Reyhaneh ?

Une loi qui permet l’application de la peine de mort aux prisonniers politiques, aux mineurs, aux femmes adultères, à la récidive de consommation d’alcool, aux infractions pour blasphème ou insulte au Guide suprême ?


Il n’y a pas de justice en République islamique d’Iran ! Le pouvoir judiciaire n’a aucune indépendance. Il reste soumis aux ingérences des services de sécurité et dignitaires religieux.


Si des aveux obtenus par la torture physique et psychologique ont valeur de preuve dans un procès, où est la justice ?

Si on permet le placement à l’isolement sur une période prolongée, les simulacres d’exécution, les violences physiques, la suspension par les membres, les chocs électriques, les brûlures, où est la justice ?

Reyhaneh a écrit à sa mère : « C’était si optimiste d’attendre de la justice de la part des juges ! [...] Ce pays que tu m’as fait chérir n’a jamais voulu de moi et personne ne m’a soutenue quand, sous les coups des interrogateurs, je criais et j’entendais les mots les plus vulgaires... »


Oui, Reyhaneh, ton espoir de justice était utopique. Ton pays n’a pas voulu t’entendre parce que tu es une femme et que les femmes restent suspectes par nature, coupables de leur féminité.


Elle écrivait encore :

« Le monde ne nous a pas aimées. Il n’a pas voulu mon destin. À présent, je renonce et j’embrasse la mort. Dans la cour de Dieu, j’accuserai les inspecteurs... les juges de la Cour suprême qui m’ont tabassée et n’ont cessé de me harceler.

Dans la cour du Créateur, j’accuserai... tous ceux qui, par ignorance ou mensonges, m’ont fait du mal, ont piétiné mes droits. »


Reyhaneh, que ton âme repose en paix, jeune fille ! Car je les accuse pour toi à cet instant et je porte le flambeau de tes droits fondamentaux piétinés par ces barbares.


Mesdames et Messieurs, l’acte d’accusation se fonde essentiellement sur deux rapports publiés par les Nations unies, le Pacte international du Comité des droits de l’homme, relatif aux droits civils et politiques, signé par l’Iran en 1968 et celui de la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, d’août 2014 et je pointe les discriminations iraniennes contre les femmes, en contradiction avec les normes internationales :

1. Un mariage ne peut être légalisé qu’avec l’accord du père ou du grand-père paternel.

2. En cas de divorce, la mère est subordonnée au père en matière de garde d’enfant.

3. Obligation légale faite à toute femme d’obéir à son mari.

4. Interdiction de travailler sans l’autorisation du mari.

5. Absence de dispositions légales contre les violences au foyer.

6. Lapidation comme méthode d’exécution.

7. Peine d’amputation, flagellation.

8. Esclavage des femmes et des enfants, en particulier dans les régions rurales.

9. Mariages précoces et forcés : l’âge légal du mariage est de treize ans et même neuf petites années avec l’autorisation d’un tribunal.

10. Le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme, en conformité avec la charia.

11. Dans les lieux publics, les femmes étant la propriété des hommes, mari, père et frères, doivent porter un voile et des vêtements amples.


Ces discriminations sont contraires aux cinq conventions des Nations unies relatives aux droits de l’homme qui imposent à l’Iran des obligations internationales. Précisons que si l’Iran a ratifié les deux pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, le Conseil des gardiens a rejeté en 2003 deux projets de loi prévoyant l’adhésion à la Convention sur l’élimination des discriminations contre les femmes et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels.


Il n’y a pas de justice en Iran !


Que valent les déclarations de principe, les signatures sur des conventions internationales puisqu’elles ne sont pas respectées. Puisque la déclaration des droits de l’homme en islam adoptée au Caire en août 1990 par l’Organisation de la conférence islamique permet des violations à la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment le fameux article 24 « Tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration sont soumis à la charia islamique » et l’article 19 : « Il n’y aura pas de crime ou de la peine, sauf tel que prévu dans la charia ».


Nous, nous savons ce que cela veut dire ; Reyhaneh, elle, l’a vécu dans sa chair. Les droits garantis par le Pacte international n’ont pas été respectés ; ni l’article 6 sur le droit à la vie, ni l’article 7 sur la torture, ni l’article 9 sur la détention provisoire, ni l’article 10 obligeant au traitement avec humanité.


Ainsi se termine la lettre de Reyhaneh :

«  Ma tendre mère, qui m’est plus chère que ma propre vie, je ne veux pas pourrir sous terre. Je ne veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur deviennent poussière. Tu dois les supplier pour que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit retiré de mon corps et donné à quelqu’un qui en a besoin...

Je te le dis depuis le plus profond de mon cœur : je ne veux pas d’une tombe où tu viendrais pleurer et souffrir. Je ne veux pas que tu portes du noir pour moi. Fais de ton mieux pour oublier mes jours difficiles. Donne-moi au vent, afin qu’il m’emporte. Je voulais t’embrasser jusqu’à ma mort. Je t’aime. »


Reyhaneh a voulu faire don des organes de son pauvre corps. C’était son vœu le plus cher : aider autrui, que sa mort ne soit pas vaine et vaincre ainsi les fossoyeurs iraniens qui ont eu raison de sa petite vie.