Précisions à propos des cadres dirigeants (fr)

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Auteur : Fran Muller, avocat droit du travail, Paris
Mai 2017


La qualification de cadre dirigeant dans un contrat de travail ne suffit pas à établir qu’elle est justifiée et qu’elle doit nécessairement être reconnue au salarié qui est ainsi distingué.


Il convient de vérifier si véritablement les conditions légales sont réunies.


L’enjeu est souvent de taille car on se souvient que le cadre dirigeant n’est en principe pas assujetti aux dispositions relatives à la durée du temps de travail et en conséquence, qu’il n’a pas droit au paiement des heures supplémentaires.


Le Code du travail précise que « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement » (article L 3111-2 du Code du travail).


Le cadre dirigeant est donc un salarié, qui cumule les trois critères suivants :

- Une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps,

- L’autonomie dans la prise de décision,

- Une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise


La Chambre sociale de la Cour de cassation a en outre ajouté que les cadres dirigeants participent à la direction de l’entreprise, précisant qu’il ne s’agissait pas là d’un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux (Cass. Soc. 22 juin 2016 n° 14-29146), ce qui n’est pas forcément très éclairant…


En cas de litige, il appartient donc au Juge de vérifier si les conditions réelles d’emploi du salarié justifiaient la qualification de cadre dirigeant (Cass. Soc. 13 janv. 2009 n° 06-46208).


Le contentieux se développe essentiellement autour des réclamations au titre des heures supplémentaires formées par un salarié devant la juridiction prud’homale après qu’il ait quitté l’entreprise à la suite d’un licenciement ou d’une démission.


Plusieurs décisions illustrent utilement la position de la jurisprudence :

1 – Un salarié engagé en qualité de « directeur commercial détail » cadre niveau VII, coefficient 600, avait été licencié pour faute et avait saisi le Conseil de Prud’hommes de demandes d’indemnités au titre de la rupture, ainsi que de rappels de salaire pour heures supplémentaires. La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, avait considéré que l’intéressé n’était pas cadre dirigeant, après avoir constaté que son contrat de travail prévoyait qu’il ne pourrait refuser d’effectuer les heures supplémentaires qui lui seraient demandées et que son horaire de travail était celui en vigueur dans l’entreprise (Cass. soc. 27 mars 2013 n° 11-19734).

2 – Un salarié exerçant des fonctions de chef de service magasin, avait saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur et le paiement d’heures supplémentaires. La qualification de cadre dirigeant, invoquée par l’employeur, avait été rejetée après que les juges aient retenu que, bien que bénéficiant d’un des salaires les plus élevés de l’entreprise et disposant d’une certaine indépendance dans l’organisation de son emploi du temps, le salarié ne participait pas à la stratégie de l’entreprise et ni aux instances dirigeantes de la société (Cass. Soc. 15 juin 2006 n° 15-12894).

3 – A la suite d’un transfert, un salarié avait signé un nouveau contrat de travail aux termes duquel il était engagé en qualité de directeur de site ; il avait par la suite saisi le Juge afin de voir prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail et poursuivait la condamnation de son employeur au paiement de demandes à titre salarial et indemnitaire. La juridiction prud’homale avait condamné l’employeur à payer au salarié des rappels d’heures supplémentaires et de repos compensateur ainsi que les congés payés afférents. Les juges avaient relevé à bon droit que si le salarié exerçait en sa qualité de directeur de site un pouvoir de direction sur ses salariés, voire un pouvoir disciplinaire, il devait cependant consulter la direction générale sur les décisions relatives à la gestion du personnel, qu’il n’avait pas la maîtrise du recrutement des salariés, que ses propositions devaient être validées par la direction des ressources humaines et par la direction générale de la société, qu’il avait également une autonomie limitée dans l’organisation même du travail au sein de l’établissement, ce dont les Juges du fond avaient pu déduire que le salarié n’était pas habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et n’avait pas la qualité de cadre dirigeant (Cass. Soc. 12 mai 2017 n° 15-27962).

4 – Un salarié qui exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur de magasin avait été licencié pour faute grave, « pour des violations graves et répétées de ses obligations légales et contractuelles caractérisées par des méthodes de management inacceptables dans un contexte d’abus d’autorité. » Contestant le bien-fondé de son licenciement, le salarié soutenait en outre avoir effectué des heures supplémentaires ; son employeur lui opposant, pour se soustraire à leur paiement, sa qualité de cadre dirigeant. La cour d’appel avait suivi l’employeur dans son argumentation et retenu la qualification de cadre dirigeant, après avoir relevé que le salarié, directeur du magasin, présidait le comité de direction du magasin, le comité d’établissement et le CHSCT, qu’il bénéficiait d’une très large délégation de pouvoir dans tous les secteurs, notamment la gestion de la conclusion, l’exécution et la rupture des contrats de travail, qu’il participait à la définition de la politique de l’entreprise et siégeait au conseil de surveillance de Val Auchan, qu’il pouvait engager seul des dépenses dans la limite de 100 000 euros et engager des dépenses dans la limite de 200 000 euros en accord avec le contrôleur de gestion, qu’il bénéficiait d’une totale indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et percevait une rémunération forfaitaire sans référence à un nombre de jours ou d’heures travaillées, qu’il bénéficiait du statut cadre de niveau 9, niveau le plus élevé de la classification de la convention collective applicable et percevait la rémunération la plus élevée du magasin (Cass. Soc. 8 mars 2017 n° 15-24117).

5 – Une dernière affaire concernait un salarié dont la relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs, cadres et assimilés des travaux publics. Celui-ci, qui occupait un poste de chef de secteur, avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, notamment à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, après avoir démissionné. Il en avait été débouté.


La cour de cassation énonce en premier lieu que « l’accord national du 6 novembre 1998 relatif à l’organisation, la réduction du temps de travail et l’emploi dans le bâtiment et les travaux publics, en ce qu’il vise les personnels d’encadrement assurant des fonctions de management élargi, libres et indépendants dans l’organisation et la gestion de leur temps de travail pour remplir leur mission,  » qui ne sauraient se voir appliquer de manière rigide la réglementation relative à la durée du travail « ne concerne pas la catégorie plus restrictive des cadres dirigeants tels que définis par l’article L. 3111-2 du code du travail. »


Elle relève en outre que le salarié, qui avait sous sa responsabilité deux conducteurs de travaux, un chargé d’études et quatre chefs de chantier, avait en charge la partie commerciale et la gestion technique et financière des chantiers pris dans son ère géographique, qu’il disposait d’une autonomie et d’une indépendance importante, qu’il avait le pouvoir de conclure tous marchés de travaux publics ou privés d’un montant total hors taxes inférieur ou égal à un million d’euros, sous-traiter tout ou partie desdits marchés et généralement représenter la société tant à l’égard des maîtres de l’ouvrage et des maîtres d’œuvre qu’à l’égard des tiers, qu’il avait délégation de pouvoir pour recruter et licencier le personnel ouvrier, appliquer les sanctions disciplinaires, prendre toutes mesures nécessaires au respect des réglementations concernant le droit social, la passation et l’exécution des marchés publics ou privés, les réglementations relatives à l’hygiène et la sécurité, l’environnement et l’absence de nuisance, qu’il participait aux comités de direction sous la présidence du directeur régional et que sur un effectif de plus de mille cents personnes, il faisait partie des douze salariés dont la rémunération brute annuelle était comprise entre 50 000 et 100 000 euros, cinq autres salariés seulement percevant une rémunération supérieure ; en sorte que les fonctions de l’intéressé au sein de l’entreprise, même exercées à un niveau décentralisé, étaient celles d’un cadre dirigeant auxquelles les règles relatives à la durée du travail n’étaient pas applicables (Cass. Soc. 11 mai 2017 n° 15-27118).


Il convient donc de retenir, outre l’examen par les juges des fonctions réellement exercées par le salarié, que ce n’est que lorsqu’il ressort de la combinaison des trois critères légaux et de la participation du salarié à la direction de l’entreprise, qui se caractérise notamment par sa présence aux instances dirigeantes, que la qualité de cadre dirigeant peut être reconnue au salarié.