Protection des œuvres éphémères (fr)

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Introduction

Lorsque l’on parle d’œuvres éphémères en droit, on s’attache plus particulièrement aux œuvres qui font intervenir les sens du goût et de l’odorat. Ainsi les principales œuvres dites « éphémères » sont les parfums et les réalisations culinaires. Ces œuvres/produits sont destinés au commerce et sont généralement protégés par le droit des brevets. Depuis les années 60, une distinction parfum création/ parfum industrie fait rage. Les juges ont toujours été sceptiques à reconnaître ces créations immatérielles comme des œuvres de l’esprit, jusqu’à ce que certaines décisions jurisprudentielles récentes, viennent admettre la protection des fragrances par le droit d’auteur.

Dans une plus large mesure, on peut faire entrer dans le champ des œuvres dites éphémères, des œuvres appartenant aux Beaux Arts, comme les performances, les installations, les œuvres Land Art etc. Reconnaître la protection par le droit d’auteur d’œuvres directement issues du domaine artistique semble plus simple. Pourtant, à l’instar des parfums ou des réalisations culinaires, le droit a quelques difficultés à appréhender les conceptions contemporaines de création artistique. Nous allons voir que le droit d’auteur prend en compte ces œuvres aux formes instables et parfois changeantes, mais pas sans difficultés. La jurisprudence et la doctrine restent encore très dispersées sur ces questions.

La possibilité pour le droit d’auteur de prendre en compte la protection des œuvres éphémères

Les possibilités données par le code de la propriété littéraire et artistique

Au sein du CPI, plusieurs articles montrent que le droit d’auteur n’est pas exclusivement dévolu à la protection d’œuvres déterminées ou déterminables par avance. Ainsi l’article L.112-1du CPI dispose que « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. ».

Ainsi la forme de l’œuvre, qui s’entend selon Desbois, de la manière de communiquer l’œuvre au public, est indifférente. L’œuvre peut donc être écrite, orale [1], ou matérialisée par un support comme dans les réalisations plastiques. De même, le droit est indifférent au mérite [2]et à la destination de l’œuvre. La valeur esthétique d’une œuvre ou sa vocation marchande ne sont pas prises en compte par les juges.

De même l’article L.112-2 du CPI, qui opère une énumération des œuvres protégeables par le droit d’auteur, n’est pas d’interprétation stricte. Une décision du 28 novembre 2006 [3]vient rappeler que « La liste énumérée par l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, qui comporte le terme « notamment » et vise toutes les œuvres de l'esprit quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, n'est ni exhaustive ni limitative et ne permet pas de réserver la protection des droits d'auteur aux seules œuvres accessibles à la vue et à l'ouïe ». Ces deux articles admettent donc, ou du moins ne rejettent pas expressément, la protection des œuvres éphémères, qu’elles soient immatérielles, gustatives ou olfactives.

Les possibilités données par la jurisprudence

La jurisprudence est venue éclaircir certains points concernant la nature des œuvres protégeables. C’est ainsi que les juges ont considéré que les notions d’œuvres pérennes ou tangibles étaient indifférentes en droit d’auteur.

Pas d’obligation d’intangibilité de l’œuvre

L’article L.111-3 du CPI distingue la propriété corporelle et incorporelle sur l’œuvre. Par conséquent, le support étant indépendant de l’essence même de l’œuvre, il n’y a pas d’obligation d’intangibilité [4]. Ainsi les improvisations musicales sont protégeables [5]même si les improvisations par nature ne sont pas fixes et tendent à subir des variations. De même, les modifications des pages web, opérées par un tiers, n’affecte pas la possibilité d’une protection.

Pas d’obligation de pérennité de l’œuvre

Dans le domaine de l’architecture, il est fréquent que la balance entre les intérêts du propriétaire et de l’auteur donne lieu à des modifications substantielles de l’œuvre architecturale. Il n’en reste pas moins que celle-ci reste protégeable au titre des droits d’auteurs [6]. Le droit reconnaît également une protection à des œuvres dont les matériaux ou les installations seraient d’une durée de vie limitée [7].

En reconnaissant la protection par le droit d’auteur aux œuvres tangibles et fugaces, il reste encore à éclaircir certains points : notamment la délimitation de la frontière entre savoir faire et création et la prise en compte, dans le domaine de l’art contemporain, des nouveaux codes de réalisation d’une œuvre.

La frontière entre savoir faire et création : l’exemple des œuvres olfactives et gustatives

Vers la reconnaissance de la protection des fragrances de parfum par le droit d’auteur

Le parfum comme marque

L’arrêt Sieckman posait la question de savoir si une fragrance de parfum pouvait constituer une marque. Selon l’art. L.711-1 « La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale. ». La CJCE, qui devait se prononcer sur cette question, a mis en exergue le problème de la représentation graphique d’une fragrance. En effet, les signes d’une marque sont traditionnellement des mots ou des ensembles de mots, des signes sonores ou bien des signes figuratifs, tels que des étiquettes, des logos ou des nuances de couleur. En l’espèce, la déposition d’un échantillon du parfum et de sa formule chimique, n’est pas constitutive d’un signe au sens de l’article L.711-1 du CPI. Ces éléments sont de nature trop imprécise, car la fragrance d’un parfum évolue avec le temps et parce que la formule chimique n’est pas représentative de cette fragrance, celle-ci étant déterminée par les multiples dosages opérés par son créateur.

La jurisprudence compte beaucoup de décisions relatives à la contrefaçon de parfums. Pourtant L’INPI refuse l’enregistrement des marques olfactives. Mais même dans le cas d’une reconnaissance, comme c’est le cas en droit communautaire, il y a un fossé entre la reconnaissance du principe et l’application de ce principe. La notion de représentation graphique constitue un véritable obstacle pour reconnaître une fragrance comme marque. Sont appliquées alors des procédures alternatives telles que l’action en concurrence déloyale et l’action pour parasitisme (car la protection de la forme des flacons de parfums et du nom de ceux-ci sont protégeables). Dans le cas d’une poursuite pour contrefaçon, les juges sont dans l’obligation de se tourner vers l’avis d’experts, qui vont opérer des comparaisons entre le parfum protégé et le parfum litigieux. Plusieurs méthodes existent : la comparaison des compositions chimiques, la métrologie sensorielle (capteurs transmettant les odeurs sous formes électriques) méthode plus objective mais pas sans failles, et les analyses sensorielles par les experts. Il n’existe pas, comme c’est le cas pour les couleurs, de classement des odeurs.

Le Parfum comme œuvre de l’esprit

De nombreuses décisions ont déjà considéré qu’une œuvre pouvait avoir une forme olfactive. Le fait que le parfum soit changeant, périssable, n’a aucune importance en droit d’auteur, contrairement au droit des marques, comme le souligne le TGI de Paris en comparant la formule chimique d’un parfum à une partition de musique : « La composition créée par l’auteur du parfum peut être comparée à une partition permettant de reproduire une musique comme la formule retenue par l’auteur du parfum permet de reproduire la fragrance l’un comme l’autre n’étant pas plus prédéfinie au moment de leur création.  » [8]. De plus «  à supposer même qu’un parfum remplisse les conditions de brevetabilité, la protection par le droit des brevets n’est pas exclusive d’une protection au titre du droit d’auteur » [9].

De même, le droit d’auteur ne tient pas compte du fait que le parfum puisse être perçu différemment par les utilisateurs [10].

Il existe depuis quelques années une divergence entre les juges du fond et la Cour de Cassation sur la question de savoir si les parfums sont protégeables au titre du droit d’auteur. la Cour de cassation s’obstine à écarter les fragrances de la protection tandis que La condition d’originalité posée par le code, ne semble pas poser de problème au juges du fond, aux vues des nombreuses décisions appliquant la protection du droit d’auteur aux fragrances de parfum. Cependant, on peut noter que dans certaines décisions, la notion d’originalité se teinte de nouveauté. Le parfum étant produit dans un but commercial, les juges demandent que l’œuvre ainsi produite soit originale, mais également inédite [11]. Mais le plus souvent les juges s’appliquent à déterminer l’originalité en considérant les qualités intellectuelles et créatives des auteurs et en distinguant expressément l’œuvre de son support

  • L’empreinte de l’auteur

CA Paris, 4e ch. A, 25 janvier 2006 « Dès lors qu’elles sont le fruit d’une combinaison inédite d’essences dans des proportions telles que les effluves, par les notes olfactives finales qui s’en dégagent, traduisent l’apport créatif de l’auteur. » Termes repris par la décision de la CA Paris 14 février 2007

TGI Bobigny 28 novembre 2006. L’apport ne saurait être que purement technique et le résultat d’un seul savoir faire, « alors qu’un parfum est l’aboutissement d’un travail de recherche artistique, accompli par des spécialistes, dits nez ».

  • Fixation de l’œuvre

CA Paris, 4e ch. A, 25 janvier 2006 « la fixation d’une œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à la protection dès lors que la forme est perceptible […] un parfum est donc susceptible de constituer une œuvre de l’esprit ». Mais la cour estime que l’œuvre doit être perceptible. On glisse de la notion de fixation vers la notion de détermination [12]. Toute mise en forme de l‘œuvre perceptible aux sens n‘est pas suffisante, encore faut-il qu‘elle soit « déterminable ». On pensera à l‘exigence d‘un caractère suffisant de la description de l‘invention en droit des brevets ou à celle de représentation graphique en droit des marques et en droit des dessins et modèles.

La Cour de cassation s’est exprimée sur cette question dans un arrêt du 13 juin 2006, et précise, contrairement aux juges du fond, que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas au sens des textes (...) la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l'esprit par le droit d'auteur » Le problème de ce raisonnement est que toute œuvre faisant entrer en compte une technique (peinture/musique) n’est pas considéré comme protégeable par le droit d’auteur. Selon Michel Vivant « Guernica procède d'un savoir-faire. Bagatelles de Webern procède d'un savoir-faire. Les Villas de Franck Lloyd Wright procèdent d'un savoir-faire. Chacun complètera la liste comme il l'entend. Il serait intéressant de savoir quelle œuvre ne procède pas dans un savoir-faire ». D’ailleurs le TGI paris dans sa décision du 26 mai 2004 avait distingué entre originalité et « savoir faire non protégeable de l’aspect créatif de l’auteur. »

Dans ce cas précis, il faut distinguer l’objet de la protection. La fragrance est par définition l’effluve, la sensation dégagée par le parfum et non sa composition. Ce qui est protégeable par le droit d’auteur ce n’est pas la formule, qui s’apparente à une recette et donc à un savoir faire, mais la fragrance qui émane de l’activité créatrice de son auteur. C’est donc la combinaison des odeurs qui est ici déterminante d’une originalité.

Les réticences de la Cour tiennent au fait que l’odorat est un sens chimique et non mécanique. Il est plus difficile à caractériser que les autres sens qui peuvent faire l’objet d’une description relativement objective. En effet, « on dispose d’un grand nombre d’outils pour caractériser des créations faisant appel à ces trois sens (toucher, ouïe, vue), ainsi que pour en conserver une trace certaine. » [13]. Les œuvres littéraires sont habituellement transcrites sur un support papier, de même les œuvres musicales sont traduites sur partitions ou enregistrées et les travaux picturaux sont identifiables par des photographies etc.. Mais quelques un soulignent, que certaines compositions musicales contemporaines, non transcrites sur partitions, sont également difficiles à identifier. Les exigences paraissent donc moins souples pour les créations olfactives [14].

Les décisions récentes en matière de protection des parfums tendent toutes à reconnaître leur protection par le droit d’auteur. [15] Le fait de reconnaître le parfum comme œuvre de l’esprit permet de renforcer la position des créateurs, qui se voient généralement victime d’imitations en tout genre.

La cuisine, un élément difficile à inscrire dans la protection des œuvres de l’esprit

Les créations culinaires ne sont pas des œuvres intellectuelles

Peu de décisions sont intervenues sur la question de savoir si oui ou non les œuvres culinaires étaient des œuvres de l’esprit. L’une d’entre elle, qui avait pour objet de déterminer si un cuisinier pouvait concourir au statut de co-auteur pour sa présence dans un documentaire, s’est cependant prononcée sur la question. La Cour de Cassation le 5 février 2002 soutient en ces termes que « de tels motifs, s’ils font ressortir que l’objet de l’enregistrement était l’activité professionnelle de M. Duribreux, n’établissent aucunement sa contribution aux opérations intellectuelles […] de l’œuvre audiovisuelle. ». En l’espèce, un cuisinier devait réaliser devant la caméra quelques recettes de son cru, pour la constitution d’un reportage. La Cour d’appel de Paris [16] avait reconnu le cuisinier co-auteur de l’œuvre audiovisuel au motif que celui-ci « dans l’exercice de son art, a l’effet de mettre en évidence son apport personnel dans les réalisations auxquelles il se livre. » et admettait que la création du cuisinier « constituait la substance même de l’œuvre audiovisuelle. ». Par une opération de ricochet, la Cour d’appel a reconnu l’originalité de la création du cuisinier pour ensuite déterminer sa collaboration au reportage audiovisuel.

Ces décisions ont donc une double dimension. La Cour d’Appel et la Cour de Cassation se sont prononcés sur deux questions distinctes, à savoir si la création culinaire était oui ou non une œuvre de l’esprit et si filmer un cuisinier dans l’exercice de son art faisait de lui un co-auteur de l’œuvre audiovisuelle. Pour la question qui nous occupe, la Cour de Cassation a refusé de reconnaître l’originalité de la création culinaire, en appuyant le fait que le cuisinier exerçait seulement son activité professionnelle.

Pourtant au regard de l’article L.112-2 et L.112-1 du CPI, il n’est pas impossible d’inclure la protection des œuvres olfactives et gustatives. Il faut pour cela pouvoir déterminer l’originalité de la création. Il faut savoir, comme pour le parfum, que ce que l’on recherche à protéger est la confection du plat et non la recette elle-même, qui trouve protection lorsque celle-ci est formalisée par un écrit. L’originalité de la préparation résiderait donc dans l’activité créatrice du cuisinier. Cette activité créatrice pourrait être issue de choix dans les combinaisons des saveurs et des ingrédients, différence faite de la cuisine qui serait issue d’un « fond de l’art culinaire » [17], d’un patrimoine culinaire.

Comme pour beaucoup d’autres types de créations, la cuisine est basée sur un savoir faire. La différence entre savoir faire et œuvre créatrice n’est que de degré, et la frontière serait l’affranchissement du cuisinier aux méthodes traditionnelles, comme le peintre s’affranchirait des techniques d’école pour parfaire son style, sa manière singulière de peindre qui justifie sa reconnaissance en tant qu’artiste à part entière.

Pour l’heure, aucune décision n’est venue contredire la position de la Cour de Cassation. La création culinaire reste protégée non pas dans sa substance mais dans sa dénomination et autres caractères extérieurs.

La protection des créations culinaires par le droit des marques

L’identité d’un plat se trouve protégé par le CPI. Ainsi comme nous l’avons déjà souligné, les recettes de cuisine formalisée par écrit sont protégeables, de même que l’appellation d’un plat. De nombreuses règles formelles et légales sont applicables en ce domaine, notamment au travers du label et des appellations, leur contournement formant la plus grande partie des litiges dans ce domaine. Certains plats ne peuvent être dénaturés, sous peine de sanction. On se souviendra du célèbre arrêt de la chambre criminelle en 1967, qui avait condamné un boulanger pour la vente d’un quatre quart fait à base de margarine et non de beurre.[18]

On peut protéger le contenant, symbolisé par la marque, l’aura d’un nom, sa forme défini par la recette, mais on protège difficilement le contenu, qui est lui révélateur de la réelle expression artistique du cuisinier

Les œuvres d’art contemporain aux prises avec le droit d’auteur

Les pratiques artistiques du début du XXe siècle, marquent la rupture entre l’artiste et l’objet de création. C’est dorénavant le processus de création qui prime sur l’objet d’art. On assiste à une dématérialisation de l’œuvre. L’exemple du Ready Made est significatif, puisque Marcel Duchamp représentait simplement des objets issus de l’industrie, sans y apporter de modifications, si ce n’est sa seule signature.

L’art éphémère, que l’on retrouve dans les courants de l’art contemporain, peut se définir comme un art du provisoire ou de l’instant. Soit parce que les matériaux utilisés sont voués à disparaître (matériau végétal) soit parce que la composition et la présentation sont limités dans le temps ou soit parce que ses composantes réagissent à leur environnement. (Land Art, Arte Povera, art relationnel, happening) L’art conceptuel, remet en cause plusieurs notions de l’œuvre, telle que définie par le code de la propriété intellectuelle, notamment l’exigence légale de forme perceptible et la notion d’originalité.

Remise en cause de la forme de l’œuvre

Les idées sont considérées comme de libre parcours et ne peuvent faire l’objet d’une protection. C’est pourquoi, pour qu’une œuvre de l’esprit soit protégeable, il faut que celle-ci revête une forme perceptible par les sens.

Dans l’affaire Christo et Jeanne Claude, qui avaient exposé l’empaquetage du Pont Neuf pendant une durée de 15 jours, il était question de savoir si leur création monumentale pouvait faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Le TGI de Paris [19]a en premier lieu rejeté cette protection, estimant que le procédé qui constituait à « emballer » n’était pas « original ». La Cour d’Appel de Paris infirme la décision du TGI en soutenant que «  l’idée de mettre en relief la pureté des lignes d’un pont et de ses lampadaires au moyen d’une toile et de cordage mettant en évidence le relief lié à la pureté des lignes de ce pont constitue une œuvre originale ». [20]. Le terme « idée » utilisée par la Cour d’Appel est critiquable, car elle laisse sous entendre que c’est l’idée qui est la cause de la protection. Outre cette faute d’appréciation linguistique, dans les faits la protection est accordée, car il y a eu concrétisation de l’idée par la création d’une forme originale. [21]

L’œuvre doit revêtir une forme perceptible par les sens, afin d’être communiquée. La confusion est grande entre concept, idée et concrétisation matérielle ou sensible [22]

Remise en cause de la notion d’originalité

Certains critères ont été dégagés par la doctrine, dans le but de concilier les formes d’art contemporain, tendant vers l’art « idéel », et le droit d‘auteur.

Le critère de « choix arbitraire »

L’oeuvre d’art ne peut bénéficier de la protection du droit d’auteur que si elle résulte d’une activité créatrice. La question du choix de l’auteur, qui s’est posée avec le Ready Made, relève t-elle de l’activité créatrice?

La directive européenne du 11 mars 1996 relative à la protection des données est transposée en droit français dans la loi du 1er juiller 1998. Cette loi vient modifier l’article 112-3 du CPI qui dispose que jouissent de la protection par le droit d’auteur, les « anthologies ou [ …] recueils d’œuvres ou de données diverses, telles que les bases de données, qui par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. »

Cependant en matière d’ œuvre d’art, la jurisprudence n’applique pas toujours le critère du choix de l’artiste pour reconnaître sa potentielle originalité. Exemples de certaines œuvres auxquelles a été reconnue la protection par le droit d’auteur sur le fondement du choix de l’artiste :

  • une collection TGI paris 25 novembre 1986
  • une exposition CA Paris 2 octobre 1997
  • la photographie d’un tableau CA Paris 26 septembre 2001
  • un plan (du cimetière Père Lachaise) Ca Paris 22 juin 1999
  • une composition florale

On peut se demander si il y a une logique a pouvoir protéger un plan sur le fondement d’un choix artistique de son auteur et non une œuvre de Ready Made . Le fait est simple. Dans le domaine de l’art, le processus de création ( le choix)l’emporte sur l’œuvre matérielle, alors que dans le domaines du droit c’est l’objet physique a qui l’on reconnaîtra une protection. Une décision est venue accorder la protection à une œuvre de Land Art réalisée par l’artiste Verame . Son œuvre résultait d’une présentation de rochers peints au cœur du désert marocain. Un photographe de mode a pris certains clichés de top model avec pour arrière plan ces fameuses roches peintes. L’artiste demanda réparation pour reproduction illicite de son œuvre. Les juges n’ont pas appliqué le critère d’un choix arbitraire de l’artiste, mais ont simplement souligné que ces rochers constituaient le support de travaux picturaux, protégés par le droit d’auteur.

Cependant, une jurisprudence récente vient confirmer expressément « le choix », comme critère de l’originalité. La cour d’appel de Paris a reconnu,l’application de la notion subjective d’originalité à une œuvre d’art conceptuelle.[23] Dans les faits, l’œuvre « Paradis » de Jakob Gautel, se matérialisait sous la forme d’un panneau sur lequel des « lettres d’or avec un effet d’usure, peintes à la main (composait) le mot Paradis » . Ce panneau, une création in situ, a fait l’objet de plusieurs photographies qui ont ensuite été insérées dans l’œuvre d’un autre artiste. L’artiste Gautel a plaidé la contrefaçon. Les juges ont souligné l’importance des choix de l’artiste dans la création. Par le choix des couleurs, de l’exposition, des matériaux, de la mise en œuvre, c’est le caractère singulier de l’artiste que l’on retrouve dans l’œuvre « matérialisée ». De même, outre le choix personnel, l’intention de l’auteur fait partie intégrante des critères à prendre en compte pour l’originalité de l’œuvre . Ainsi, l’originalité n’émane plus simplement du rendu matériel de la conception de l’artiste. Il faut voir l’œuvre dans sa globalité.

Le critère de l’exécution personnelle

Ce critère a déjà été démenti par la jurisprudence. En effet, peu importe que l’auteur ai lui-même procédé à la réalisation matérielle de l’œuvre , seule la marque de la personnalité de l’auteur est requise. L’auteur doit garder un contrôle significatif sur sa création[24], mais l’exécution matérielle est en elle-même le seul résultat d’un savoir faire Même si dans quelques décisions, l’exécution personnelle a été jugée comme l’élément de l’originalité de l’œuvre [25].

Le critère de présentation

On voit que le droit ne reconnaît pas toujours le critère du choix arbitraire (choix artistique maîtrisé par l’artiste). Cela semble la meilleure solution, lorsque l’on voit que certaines œuvres font entrer un principe de création aléatoire.( certaines œuvres vidéos dont la diffusion est aléatoire du fait d’une programmation informatique, les toiles de Pollock résultant de tâches et de dégoulinures de peintures, composition de cube sur toile par Morellet selon un découpage géométrique de la toile et un choix aléatoire de disposition commandée par des numéros de téléphone, les mobiles de Calder qui révèlent tout leur effet grâce au caprice du vent…)

Le critère de présentation de l’œuvre pourrait être une bonne alternative car il ferait entrer dans le champ de la protection, la plupart des œuvres contemporaines. Les œuvres contemporaines accordent un valeur particulière à l’espace et à l’environnement dans lequel se présentera l’œuvre matérielle

ex: composition artistique faite de néons de couleur, dont la dimension et l’intensité devront être recadrées à chaque exposition dans un nouveau lieu, car l’espace est différent. L’oeuvre étant les couleurs projetées aux murs et non les néons en soi.

Cependant cela reste une émanation de la doctrine et le peu d’affaire dans le domaine de l’art contemporain ne permet pas de dire si la jurisprudence est prête à appliquer le critère de représentation pour reconnaître une protection aux œuvres d’art dites éphémères.

La protection se fait au cas par cas, selon que les juges soient plus ou moins engagés dans une vision matérialiste de l’œuvre d’art.

Conclusion

Outre les réalisations culinaires, qui n’ont pas encore trouvé leur place au sein des œuvres intellectuelles, l’ensemble des œuvres éphémères bénéficient d’une protection par le droit d’auteur. Néanmoins, la détermination de l’originalité peut être problématique dans certains cas. La reconnaissance d’une protection par le droit d’auteur, se trouve souvent confortée par une notoriété certaine de l’artiste ou du créateur.

Notes de bas de pages

  1. Le droit reconnaît la protection aux plaidoiries (T.civ.Seine, 1er ch., 1 » février 1952), aux sermons (CA Lyon, 17 juillet, 1845), aux cours des professeurs et universitaires (CA Paris, 1er ch., 24 novembre 1992) ou aux allocutions politiques (TGI Paris, 3e ch., 6 juillet 1972). V. A.LUCAS, H.J.LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, 2006, pp. 88-89
  2. .Cependant au regard de la jurisprudence, la détermination de l’originalité passe quelquefois par une considération du mérite de l’œuvre, comme la prise en compte de la notoriété de l’œuvre pour reconnaître sa protection. V. V. A.LUCAS, H.J.LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, 2006, N. 26.
  3. TGI Bobigny, 28 novembre 2006.
  4. CAA Nancy 2 mai 1996 (Les juges ont reconnu la protection de la sonorité spécifique d’un orgue d’église)
  5. Cass 1ere civ.1er juillet 1970, Manitas de Plata : D. 1970, p. 734
  6. Cass 1ere civ. 7 janvier 1992 ; CA Versailles 1ere ch. 4 avril 1996 (Possibilité de modifier ou de détruire l’œuvre architecturale à titre utilitaire), Trib. Com. Lyon, 28 avril 1997(Le lieu de première implantation d’une sculpture n’est pas lié à l’esprit de l’œuvre
  7. CA Paris 13 mars 1986 (Les juges ont reconnu la protection de « l’empaquetage du Pont Neuf par Christo et Jeanne Claude, car l’idée de l’artiste était concrétisée dans une forme perceptible au sens. Peu importe que l’œuvre n’ai existé que 15 jours.), CA Paris 29 avril 1998(protection accordée à une composition florale)
  8. M.E. TAUDOU MIQUELARD, « De l’instrument de musique à l’orgue à parfum », Gaz.Pal., recueil septembre/Octobre 2007, N. 1, p.2964
  9. CA Paris 25 janvier 2006
  10. TGI Paris 26 mai 2004
  11. Ibid
  12. B. HUMBLOT, « fragrance et concrétisation de l’œuvre en droit d’auteur », Lamy droit des médias et communication
  13. P. BREESE, « propriété intellectuelle des créations sensorielles : l’apport de la science pour défendre les droits des créateurs »
  14. Ibid
  15. CA Paris 14 février 2007 confirme les termes du TGI de Bobigny, CA Aix en Provence 13 septembre 2007 Lancôme c/ Argeville « attendu que le parfum Trésor est le résultat d’une démarche créative […] visant à la création d’une substance, une forme olfactive aux propriétés particulières répondant à des goûts nouveaux par l’association et le dosage inédit d’essence […] exprime bien l’empreinte personnelle de ce dernier »
  16. CA Paris, 17 mars 1999, RIDA 1999, n°182, p.203
  17. X. DAVERAT, « Communication et créations intellectuelles : chronique n° XIX », Les Petites Affiches, n° 136, 9 juillet 2002, p.19
  18. Cass. Crim., 5 octobre 1967, Bull. crim. n° 242
  19. TGI Paris 26 mai 1987, D. 1988
  20. CA Paris 13mars 1986, D. 1987
  21. N.WALRAVENS, « L’art contemporain et les difficultés d’accès à la protection du droit d’auteur », in Droit d’auteur et culture, dir. J.M. BRUGUIERES, Dalloz, Paris, 2007, N.2, p.38
  22. V. A.LUCAS, H.J.LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3e éd., Paris, 2006, pp.59-64
  23. CA Paris, 4e ch., 28 juin 2006, p.7, N.2 in N. WALRAVENS « Le choix, critère déterminant de l’originalité de Paradis », Lamy droit de l’immatériel, n°19, 1er septembre 2006, pp 8-12
  24. Civ 1er 8 janvier 1980, D. 1980 Dubuffet, TGI Paris 21 janvier 1983, D 1984 Vasarely
  25. Civ 1er 15 novembre 2005 Spoerri

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