Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race : une jurisprudence qui se cherche…(fr)

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Daniel Kuri, Maître de conférences hors classe en droit privé, Université de Limoges (O.M.I.J.) EA 3177


Tel est, en tout cas, l’impression que l’on peut avoir à la lecture de la jurisprudence la plus récente rendue sur cette question.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris, le 14 mars 2018 [1] , a infirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 25 avril 2017 qui avait condamné R. Ménard à 2000 euros d’amende « pour provocation à la haine et à la discrimination » pour avoir déclaré qu’il y avait trop d’enfants musulmans dans les écoles de sa ville [2].

En ce qui concerne le Tribunal de grande instance de Paris, celui-ci, le 20 mars 2018, a relaxé A. Soral du chef de « provocation à la haine et à la discrimination » à propos de la mise en ligne d’un dessin montrant le candidat à l’élection présidentielle E. Macron dans une tenue militaire affublé d’un brassard (évoquant ouvertement celui des nazis mais où la croix gammée était remplacée par le signe du dollar) et présenté comme la marionnette du « nouvel ordre mondial »[3]. En arrière-plan du dessin figurait trois personnalités du monde des affaires, de la finance et de la politique, habituellement associés au « complot juif » : P. Drahi, J. Rothschild, et J. Attali. Etaient également représentés les drapeaux des USA et d’Israël entourés de billets de banque européens et américains. Enfin, les termes « En Marche vers le chaos mondial » accompagnaient le dessin.

Cependant, le même Tribunal, le 1er juin 2018, a condamné dans deux jugements distincts A. Soral à des peines d’emprisonnement avec sursis et à des amendes « pour provocation à la haine et à la violence » après la diffusion sur son site de deux dessins jugés antisémites[4].

Le tribunal correctionnel a ainsi condamné A. Soral à une première peine de prison de quatre mois avec sursis et à 5 000 euros d’amende pour la publication sur son site Egalité et Réconciliation, en avril 2017, d’un dessin intitulé « Présidentielles, qui mène le jeu… ». L’on y voyait quatre candidats à la présidentielle de 2017 en forme de pions, sur un échiquier dominé par Bernard-Henri Lévy, Julien Dray et Jacques Attali, sur fond d’étoile de David avec un chandelier à sept branches.

Selon le Tribunal, le dessin suggère que les candidats « sont en réalité contrôlés et manipulés par des personnalités que l’auteur relie très clairement à la religion juive […] ; qu’il en résulte donc que ce dessin indique que les personnes de confession juive contribuent à fausser l’élection présidentielle, de sorte qu’il constitue un « appel implicite à la haine, la violence et la discrimination contre tous les juifs ». Le Tribunal a également ordonné le retrait du dessin.

Dans le deuxième jugement, le Tribunal a prononcé la condamnation d’A. Soral à une peine de quatre mois avec sursis et 5 000 euros d’amende pour une caricature publiée en juillet 2017 sur le même site qui représentait diverses personnalités sous forme de cancrelats aux doigts crochus, parmi lesquelles de nouveau Jacques Attali, désigné « cancrelat en chef » et portant une étoile de David. Selon les juges, ce dessin appelle à la haine envers les juifs dans leur « ensemble », « la référence à un insecte nuisible soulignant la nécessité d’éliminer ce qui est décrit ».

Le Tribunal précise par ailleurs dans les deux jugements que, « les registres de la polémique politique, de la caricature ou de l’humour ne justifient pas » la commission du délit.

Les juges relèvent en outre que lors de l’audience de plaidoirie les témoins cités pour la défense d’A. Soral ont au contraire « confirmé la portée » de ces dessins en suggérant à la barre « que les personnes de confession juive sont un problème ».

Enfin, signe inquiétant de l’actualité de l’antisémitisme, le Tribunal de Paris, dans un jugement rendu le 8 juin 2018, vient de condamner H. Lalin dit H. Ryssen à un an de prison ferme pour, notamment, « provocation à la haine et à la violence », en raison des messages antisémites contenus dans une vidéo diffusée sur YouTube [5] .

Dans cette vidéo, mise en ligne le 10 juillet 2017, et intitulée « Les juifs, l’inceste et l’hystérie », une voix off exposait les raisons laissant penser que le peuple juif serait un peuple d’incestueux.

Au-delà de leurs solutions différentes, ces cinq décisions ont néanmoins pour point commun de se démarquer très nettement de la notion de provocation telle qu’elle était habituellement reconnue par ces juridictions. Il s’agit donc très clairement d’un véritable revirement de jurisprudence des juges parisiens s’agissant du fondement juridique de leurs décisions.

En vérité, il s’agit d’un alignement des juridictions parisiennes sur la position la plus restrictive de la Cour de cassation[6] s’agissant de la notion de provocation exigeant que celle-ci contienne un appel ou une exhortation. Nous verrons, cependant, qu’une autre interprétation de la notion de provocation serait possible en revenant à l’idée que la provocation est réalisée par une incitation manifeste à la haine ou à la discrimination tendant à susciter un sentiment d’hostilité et de rejet.

L’alignement des juridictions parisiennes sur la position la plus restrictive de la Cour de cassation s’agissant de la notion de provocation exigeant que celle-ci contienne un appel ou une exhortation

Cet alignement est particulièrement net – ainsi que ces conséquences factuelles – dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2018 mais également dans le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 20 mars 2018, il est plus nuancé dans les jugements du 1er juin et du 8 juin 2018 rendus par le même Tribunal.

L’interprétation exagérément stricte de la notion de provocation par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 14 mars 2018 et par le TGI de Paris dans son jugement du 20 mars 2018

- Ainsi, la Cour d’appel de Paris [7] , après avoir constaté que « la jurisprudence de la Cour de cassation a varié entre des conceptions plus extensives ou plus restrictives de la notion de provocation », va directement énoncer « qu’un arrêt de cassation rendu le 7 juin 2017 retient désormais la nécessité d’un appel ou d’une exhortation, qui peut-être seulement implicite, comme l’a précisé un autre arrêt de cassation en date du 9 janvier 2018. »

La Cour va néanmoins justifier son choix par une longue observation sur l’articulation de la loi et de la jurisprudence. Les magistrats parisiens observent tout d’abord que « la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et la citoyenneté contient plusieurs dispositions destinées à accroître et faciliter la répression des provocations, diffamations et injures à caractère raciste ou discriminatoire. » mais ils estiment que «  si la volonté du législateur est ainsi d’améliorer la répression de ces infractions considérés comme plus graves, il y a cependant lieu de retenir, en l’occurrence, la jurisprudence la plus récente et la plus restrictive de la Cour de cassation quant à la définition de la provocation dès lors que la loi pénale est d’interprétation stricte »' ; ils ajoutent enfin – pour faire bonne mesure – « que le droit essentiel à la liberté d’expression doit permettre d’exprimer des opinions ou des idées qui heurtent , choquent ou inquiètent , dans les limites fixées par la loi conformément à l’article 10 de la Convention Européenne des Droits d l’Homme […]. »

S’agissant des faits de l’espèce, la Cour d’appel de Paris rappelle que R. Ménard avait été cité à comparaitre devant le TGI de Paris au sujet d’un twett du 1er septembre 2016 et de propos tenus le 6 septembre 2016.

Sur le tweet du 1er septembre, la citation visait le passage suivant : « #rentrée des classes : la preuve la plus éclatante du Grand Remplacement en cours. Il suffit de regarder d’anciennes photos de classes … », la Cour précisant que le texte exact est « #Grand Remplacement ». La Cour estime tout d’abord que « Le sens et la portée de ce bref message doivent être recherchés par rapport à la perception et la compréhension du lecteur moyen […] » puis considère qu’ « Il est exact que le ‘‘# Grand Remplacement’’, avec le signe # et l’emploi de majuscules fait référence aux thèses développées par R. Camus, selon lesquelles il existerait sur le territoire français un processus de remplacement du peuplement européen par une population non européenne […] ». Mais, la Cour souligne immédiatement que R. Camus n’a pas été condamné pour les propos publiés dans ce livre qui n’est d’ailleurs pas interdit. Par ailleurs, la Cour estime que même si le signe # permet d’accéder à des informations sur ce sujet « il est certain que de nombreuses personnes ne connaissent pas R. Camus dont le nom n’est pas mentionné dans le twett, ni ses thèses ».

En définitive, la Cour estime que « Même si le tweet du 1er septembre 2016 n’était accompagné d’aucune photo et si aucun détail n’était fourni sur le ‘‘# Grand Remplacement’’, la teneur du message permettait toutefois au lecteur de comprendre que la physionomie des élèves avait beaucoup changé, […], et même que l’auteur du twett n’approuvait pas une telle évolution ». Cependant, selon la Cour, « la teneur du propos demeure ainsi trop floue et imprécise pour contenir le moindre appel, même implicite, à la discrimination, à la haine ou à la violence ».

En ce qui concerne les propos tenus sur LCI le 5 septembre 2016, le ministère public avait fait le choix de poursuivre le passage suivant « Dans une classe de centre- ville de chez moi, 91% d’enfants musulmans. Evidemment que c’est un problème. Il y des seuils de tolérance. On n’ose pas le dire. 91% madame, d’enfants musulmans ». Selon la Cour « Ces phrases signifient clairement que le fait qu’il y ait ‘‘91% d’enfants musulmans’’ pose un ‘‘problème’’ parce que cela dépasse ‘‘les seuils de tolérance’’ ». La Cour ajoute néanmoins que « la portée des phrases incriminées doit être appréciée en tenant compte des autres propos tenus dans la même interview ». La Cour cite alors certains de ces propos : « Aujourd’hui, on a dépassé une fois de plus les seuils de tolérance dans un certain nombre de villes […] » ; « Mais bien sur que les gens ne veulent pas vivre ensemble […] » ; « […] L’Islam qui menace l’identité de notre pays ». La Cour, malgré ces propos, estime que « Le prévenu exprime ainsi son point de vue, […], mais sans pour autant utiliser de termes particulièrement violents, ni inviter le public à combattre, haïr ou discriminer de potentiels envahisseurs, […]».

Ainsi, la Cour considère que « Les propos poursuivis, portant sur une question d’intérêt public relative à l’immigration, n’ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression. » La Cour ajoute que « même si la formulation [des propos] a pu légitimement choquer, ceux-ci ne comportent pas d’appel ou d’exhortation, même sous une forme implicite, à la discrimination, la haine ou la violence. » La Cour considère, en conséquence, que R. Ménard doit être renvoyé des fins de la poursuite.

- S’agissant du Tribunal de grande instance de Paris[8], celui-ci est donc revenu lui-même sur sa propre jurisprudence dans l’affaire Soral !

Rappelons que ce dernier avait été cité à comparaitre en justice pour un dessin représentant E. Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, porteur d’un brassard évoquant ouvertement celui des nazis mais où la croix gammée était remplacée par le signe du dollar avec derrière lui les photographies de P. Drahi, J. Rothschild, et J. Attali, et les drapeaux israélien et américain, la légende du dessin mentionnant « En Marche vers le chaos mondial ». Lors de l’audience de plaidoirie, diverses associations, parties civiles, dont le MRAP, avaient demandé la condamnation du prévenu, la suppression du dessin, et la publication du jugement à venir sur le site d’A. Soral Le ministère public, dans ces réquisitions, estimait – notamment – que le dessin constituait bien une exhortation à la discrimination, à la haine et la violence envers les personnes de confession juive. Il demandait la condamnation du prévenu à la peine de cinq mois d’emprisonnement.

Le conseil d’A. Soral sollicitait, quant à lui, que ce dernier soit renvoyé des fins de la poursuite. Il faisait valoir que les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas réunis, s’agissant des personnes visées et de l’existence d’un appel ou d’une exhortation.

Le Tribunal, après avoir rappelé les éléments constitutifs du délit de provocation publique à la discrimination à la haine et à la violence (article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881), et notamment que ce délit suppose « un appel ou une exhortation, éventuellement implicite », va immédiatement souligner que « par deux arrêts du 7 juin 2017 et du 9 janvier 2018, la Cour de cassation estime qu’une incitation manifeste à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet ne saurait suffire pour caractériser le délit ».

Appliquant cette analyse au faits de l’espèce, les juges vont considérer que la représentation du candidat Macron et le rappel du mouvement « En Marche » ne constituent pas un appel ou une exhortation au sens de la loi, « l’objet du montage en cause étant d’appeler à ne pas voter pour E. Macron ». Ainsi, selon le Tribunal, « même de façon implicite, le photomontage ne contient pas d’exhortation dirigée contre un groupe de personnes ».

S’agissant des trois personnalités situés à l’arrière du candidat, auxquels sont associés les drapeaux américain et israélien, les juges vont directement affirmer que « la mise en cause de ces trois personnalités et de ces deux Etats ne rejaillit pas non plus sur la communauté juive dans son ensemble ». Les juges ajoutent « qu’en particulier, la publication visée ne reprend pas les symboles de la religion juive ou des institutions communautaires liées au judaïsme ».

Le Tribunal concède néanmoins que la publication a pu paraître « choquante ou outrageante » mais souligne qu’il était « saisi d’une infraction précise, le droit pénal étant d’interprétation stricte ». Ainsi, selon les juges « le montage en cause, aussi contestable soit-il, ne constitue pas une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, contenant un appel ou une exhortation, même implicite, rejaillissant sur la totalité d’une communauté définie par l’appartenance à la religion juive ». En conséquence, « L’infraction n’apparaît pas constituée, […] ».

Au-delà de faits différents – dont la gravité nous semble évidente dans les deux affaires –, ces deux décisions ont pour point commun de constituer un très net revirement de jurisprudence de la part des juges parisiens. Cette évolution brutale et simultanée des juridictions parisiennes concernant leur conception de la « provocation » trouve donc son origine dans la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation ici respectée scrupuleusement par les juges du fond. On peut, à ce propos, se demander si les analyses faites par ces juridictions, à la suite de la Cour de cassation, ne traduisent pas l’émergence dans notre droit d’une conception très libérale de la liberté d’expression. Conception dans laquelle la nécessaire liberté d’expression dans une société démocratique n’est plus véritablement limitée par les discours incitant, selon nous, à la haine ou à la discrimination. L’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme comporte pourtant un § 2 selon lequel « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi […] ». Cependant, cette interprétation exagérément stricte de la notion de provocation n’est pas partagée par tous les juges parisiens. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Paris, dans ses jugements du 1er juin et du 8 juin 2018, fait une application plus mesurée de la jurisprudence de la Cour de cassation.

L’interprétation plus modérée de la notion de provocation par le TGI de Paris dans ses jugements du 1er juin et du 8 juin 2018

Ainsi, le Tribunal, le 1er juin 2018[9], sans rejeter la définition de la provocation retenue par la Haute juridiction – qu’il rappelle longuement –, estime, dans les deux jugements, que les dessins litigieux constituent « un appel implicite à la haine, à la violence et à la discrimination contre tous les juifs ». D’après le Tribunal, dans le premier jugement, « l’appel implicite se [déduit] de l’accusation générale contre les personnes de confession juive de mettre en danger une des élections les plus importantes du pays ; ». Dans le second jugement, le Tribunal observe que « La référence à un insecte nuisible [cancrelat] souligne la nécessité d’éliminer ce qui est décrit [dans le dessin] – qui vise la communauté juive dans son ensemble – ». Enfin, le 8 juin 2018[10], le Tribunal, reprenant également la définition de la provocation retenue par la Cour de cassation, considère que la vidéo faisant état de ce que les juifs seraient naturellement incestueux constitue l’appel implicite à la haine, à la violence et à la discrimination. Les juges soulignent que « L’auteur de la vidéo évoque, à cet égard, une ‘‘certaine singularité juive’’ et qu’il explique que ‘‘ S. Freud s’est bien évidemment inspiré des mœurs de sa communauté pour élaborer sa théorie sur la ‘horde primitive’, car c’est bien dans la seule communauté juive que le père possède toutes les femmes y compris ses propres filles et nulle part ailleurs’’ ».

Selon les juges, « Est bien visée, par ces propos, la totalité des personnes de confession juive, l’appel implicite à la haine, à la discrimination résultant, sans difficulté, du comportement déviant et dangereux attribué à l’ensemble de ces personnes, de nature à justifier des mesures de discrimination, ou la haine et la violence des internautes. »

Il n’empêche que la notion d’appel implicite ne sera pas toujours aussi facile à définir et à caractériser et qu’elle risque d’être assez subjective, et variable selon les juges. En définitive, même si ces jugements présentent des aspects positifs, nous pensons cependant que la notion de provocation telle qu’elle est aujourd’hui retenue par la Cour de cassation est critiquable. Une interprétation différente de la notion de provocation pourrait ainsi, selon nous, être consacrée par les juges.

Une autre interprétation de la notion de provocation serait possible en revenant à l’idée que la provocation est réalisée par une incitation manifeste à la haine ou à la discrimination tendant à susciter un sentiment d’hostilité et de rejet

Comme le relève la Cour d’appel de Paris [11] dans un de ses motifs « la jurisprudence de la Cour de cassation a varié entre des conceptions plus extensives ou plus restrictives de la notion de provocation » Ainsi, la Cour a pu rappeler que longtemps « [la Cour de cassation] a considéré qu’il pouvait suffire d’une incitation manifeste tendant à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet ». Nous pensons que cette interprétation est, d’ailleurs, la seule cohérente par rapport à la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et la citoyenneté qui, comme le souligne la Cour d’appel, « contient plusieurs dispositions destinées à accroître et faciliter la répression des provocations, diffamations et injures à caractère raciste ou discriminatoire. » Avec tout le respect que nous avons pour la présidente Sautereau, nous nous demandons si l’arrêt ne comporte pas, à cet égard, une contradiction dans ses motifs lorsque la Cour souligne que « si la volonté du législateur est ainsi d’améliorer la répression de ces infractions considérés comme plus graves, il y a cependant lieu de retenir, en l’occurrence, la jurisprudence la plus récente et la plus restrictive de la Cour de cassation quant à la définition de la provocation […]. »

A l’inverse de cette opinion, on se plait à espérer que les juges respecteront la volonté du législateur et reviendront sur cette jurisprudence « libérale » et régressive s’agissant de la répression des propos incitant à la haine et à la discrimination.

Par ailleurs, il est clair que le maintien d’une telle jurisprudence par la chambre criminelle encouragera tous ceux qui distillent des messages incitant à la haine et à la discrimination sur Internet ; ces derniers pouvant espérer l’impunité pour leurs propos.

On ajoutera que les juges doivent être d’autant plus vigilants que les propagandistes de haine utilisent de plus en plus, de façon stratégique, l’insinuation[12].

En définitive, cette décision nous semble aussi contestable que celle qui avait été rendue par la même chambre criminelle à propos de l’apologie de crime contre l’humanité dans l’affaire Bourdouleix, à l’époque député de Maine-et-Loire et maire de Cholet, qui avait tenu des propos particulièrement violents à l’égard des gens du voyage.

Rappelons, à cet égard que la chambre criminelle, le 15 décembre 2015[13], avait considéré que la Cour d’appel d’Angers – qui avait condamné le député maire de Cholet pour apologie de crime contre l’humanité pour avoir déclaré à propos de gens du voyage présents sur un champ « Comme quoi Hitler n’en a peut-être pas tué assez, hein ? » [14] – avait violé les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881. La Haute juridiction considérait en effet « qu’il résulte de ces textes que le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est constitué que si les propos incriminés ont été ‘‘proférés’’ au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ».

Cependant, dans un arrêt récent, la chambre criminelle, le 7 mai 2018, a considéré que les écrits d’A. Soral – qui rendait compte de la remise prochaine, par les autorités allemandes, d’une décoration au couple de chasseurs de criminels nazis Beate et Serge Klarsfeld, avec un commentaire ainsi rédigé : « Voilà ce qui arrive quand on ne finit pas le boulot ! » – constituaient le délit d’apologie de crimes contre l’humanité . [15]

La Cour relève que « pour caractériser le délit d’apologie, l’arrêt [de la Cour d’appel] énonce que cette infraction exige, pour être constituée, que les propos incriminés constituent une justification des crimes contre l’humanité commis contre des personnes en raison de leur appartenance à une communauté raciale ou religieuse mais également de ceux commis contre les opposants à cette politique d'extermination systématique ; que les juges ajoutent qu’en regrettant que "le boulot", au sens de la politique nazie d’extermination, non seulement des Juifs, mais aussi de ceux qui s’y opposaient, n’ait pas été achevé, puisque les époux Z... ont survécu et peuvent se voir remettre une décoration par les autorités allemandes, le prévenu présente l’entreprise génocidaire du régime nazi sous un jour favorable, comme une action légitime dont on doit souhaiter l’achèvement ; » La Cour considère « qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a exactement caractérisé le délit d’apologie de crimes contre l’humanité prévu par l’article 24, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; »

En tout cas, il nous semble que sur cette question, comme sur celle de la provocation à la discrimination à la haine ou la violence, la chambre criminelle ne doit pas hésiter à faire preuve de sévérité dans la répression de ces infractions. En vérité, s’agissant de la provocation à la discrimination à la haine ou la violence, les juges doivent tout simplement retrouver leur jurisprudence traditionnelle selon laquelle la provocation est réalisée par une incitation manifeste à la haine ou à la discrimination tendant à susciter un sentiment d’hostilité et de rejet. On accordera alors le Droit et la Justice. Le 13 août 2018[16].

Références

  1. https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/03/14/provocation-a-la-haine-robert-menard-relaxe-en-appel_5270875_1653578.html
  2. Robert Ménard condamné pour "provocation à la haine"https://www.huffingtonpost.fr/2017/.../25/robert-menard-condamne-pour-provocation
  3. Procès d'Alain Soral : quand les tribunaux deviennent des tribunes ... www.liberation.fr/.../2018/03/.../proces-d-alain-soral-quand-les-tribunaux-deviennent-
  4. Alain Soral condamné à des peines de prison avec sursis pour deux ... https://www.lemonde.fr/.../2018/.../alain-soral-condamne-a-des-peines-de-prison-avec-sursis...
  5. Un militant condamné à un an de prison pour une vidéo antisémite ... www.leparisien.fr/.../un-militant-condamne-a-un-an-de-prison-pour-une-video-antisemite... Le Tribunal a, en outre, condamné H. Lalin pour diffamation aggravée sur le double fondement des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881. Enfin, le Tribunal a justifié cette peine exceptionnelle par les multiples condamnations prononcées contre H. Lalin et mentionnées au bulletin n°1 de son casier judiciaire en rappelant que « Le maximum encouru dans la présente procédure est d’un an d’emprisonnement » et que « Le Tribunal entend faire une application très ferme de la loi pénale ».
  6. Crim., 7 juin 2017 (n° de pourvoi : 16-80322, publié au bulletin) et 9 janvier 2018 (n° de pourvoi : 17-80491, non publié au bulletin).
  7. Cf. supra, note 1.
  8. Cf. supra, note 3.
  9. Cf. supra, note 4.
  10. Cf. supra, note 5.
  11. Cf. supra, note 1.
  12. Voir sur cette question T. Hochmann, « La loi de 1972 face aux nouveaux discours de haine » in Rencontre du MRAP le 21 octobre [2017] autour du 45ème anniversaire de la loi [de1972] contre le racisme, Différences, n° 304, Janvier/Février/Mars 2018, p. 9. Selon cet auteur, « Le nouveau discours de haine se caractérise par un ‘‘usage stratégique de l’insinuation’’ : le locuteur procède d’emblée par un sous-entendu, en se ménageant toujours la possibilité d’une dénégation. Les poursuites judiciaires sont anticipées et le mode d’expression vise à éviter les condamnations. L’objectif est d’être compris par le public visé, mais pas par les juges. »
  13. Crim., 15 décembre 2015, D. Kuri, « L’interprétation stricte par la chambre criminelle de la Cour de cassation de l’apologie de crimes contre l’humanité, commentaire sur l’arrêt de la chambre criminelle du 15 décembre 2015 », site http://fondation.unilim.fr/chaire-gcac/, aussi site http://lagbd.org/
  14. C.A. d’Angers, le 12 août 2014, voir notre commentaire de cet arrêt in « L’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, un délit à la mode ? Suite…», site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://lagbd.org/ La condamnation du maire de Cholet était cependant largement symbolique dans la mesure où ce dernier ne fut condamné qu’à une peine d’amende de 3000 euros. Nous continuons à penser (cf. notre article « L’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, un délit à la mode ? » et les décisions citées, site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://lagbd.org/ ) que les peines prononcées au sujet de l’apologie de crimes contre l’humanité sont insuffisantes au regard de l’importance des valeurs fondamentales auxquelles il est porté atteinte. Ces valeurs ont d’ailleurs été remarquablement rappelées par le TGI de Paris dans son jugement du 8 juillet 2014 à l’occasion de l’affaire Vikernes (le Norvégien K.Vikernes poursuivi, notamment, pour apologie de crimes contre l’humanité en raison d’écrits publiés sur son blog a été condamné par le TGI de Paris le 8 juillet 2014 à six mois de prison avec sursis et 8000 euros d’amende pour apologie de crimes contre l’humanité). Selon le Tribunal, il s’agit tout simplement des valeurs universelles des droits de l’Homme et de la civilisation.
  15. Crim., 7 mai 2018 (n° de pourvoi : 17-82.656, publié au bulletin) ; D. 2018, n° 20, p. 1075. Nous reviendrons prochainement sur cet arrêt intéressant.
  16. Merci à A. Kuri pour son attentive relecture.