Jeux d'argent, de hasard & de droit (fr)

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Article de Me Jean Michel Portail
Avocat
www.portail-avocat.com



Dans la perspective de la dernière coupe du monde de football, dont on sait qu'elle suscite de nos jours le goût pour les paris en ligne, la France a voulu légiférer au mois de mai dernier. Ainsi est née la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne[1].


La définition des jeux d'argent et de hasard, selon la loi du 12/05/10

L'article 1 de la loi proclame très décemment:

« Les jeux d'argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire; dans le respect du principe de subsidiarité, ils font l'objet d'un encadrement strict au regard des enjeux d'ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs. »

Remarquons au passage qu'il existe donc apparemment et a contrario, depuis le 12 mai 2010, des commerces et des services « ordinaires »; mais la définition de l'article 1 ne fait peut-être pas expressément, des jeux d'argent et de hasard, un commerce « extraordinaire », comme le jardin du même nom de Charles Trénet.

Le ton est donné, celui d'un "encadrement strict". Si l'État français, notamment à cause d'un droit européen soucieux du respect de la concurrence, est obligé d'ouvrir ce marché, il entend le réguler. Essentiellement parce qu'il existerait des enjeux d'ordre public et de sécurité publique d'une part et une obligation pour le législateur de veiller à la protection de notre santé et des mineurs d'autre part.

L'article 2 semble moins noble d'un point de vue moral, mais il a le charme incandescent des définitions laconiques, mais définitives, où les notions juridiques empruntent subtilement à des domaines intellectuel voisins, comme la statistique, les mathématiques et la philosophie. Il proclame en effet:

« Est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain. »

On peut donc en conclure que n'est pas un jeu de hasard, au sens de la loi, un jeu gratuit comme la roulette russe, où le hasard semble pourtant prédominer sur les combinaisons de l'intelligence, le gain potentiel probable étant, dans ce cas, celui d'éviter la perte.

L'objectif affirmé de la loi est de prévenir le jeu excessif ou pathologique, de protéger les mineurs; d'assurer l'intégrité et la transparence des opérations de jeu ; de prévenir toute activité frauduleuse ou criminelle ainsi que le blanchiment de capitaux; de prévenir le financement du terrorisme ; enfin, de « veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées (nous retrouvons ici un souci commun au commerce ordinaire).

La loi va définir le jeu et le pari en ligne comme un jeu et un pari « dont l'engagement passe exclusivement par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne ».

Elle va définir l'opérateur de jeux ou de paris en ligne comme « toute personne qui, de manière habituelle, propose au public des services de jeux ou de paris en ligne comportant des enjeux en valeur monétaire »; le joueur ou le parieur en ligne s'entendant, au sens de cette loi, « de toute personne qui accepte un contrat d'adhésion au jeu proposé par un opérateur ».

Un système d'agrément des opérateurs

La loi va instaurer un système d'agrément pour les opérateurs.

Elle va créer l'ARJEL: l'Autorité de régulation des jeux en ligne, autorité administrative indépendante chargée notamment de délivrer ces agréments.

Ainsi, toute entreprise, pour espérer être agréée et commercer de façon non ordinaire auprès des joueurs français, doit justifier principalement de l'identité et de l'adresse de son propriétaire ou de son siège social, de sa structure juridique, de l'identité et de l'adresse de ses dirigeants, des personnes qui la contrôlent. Elle devra justifier de ses moyens humains et matériels, communiquer l'ensemble de ses informations comptables et financières. De façon encore plus précise, elle devra présenter les caractéristiques et les modalités d'exploitation du site de jeux en ligne et des opérations de jeu qu'elle entend proposer, les caractéristiques des plates-formes et logiciels de jeux et de traitement de paris qu'elle compte utiliser. Elle doit décrire, pour chaque jeu proposé, le processus de traitement des données de jeu ainsi que les moyens permettant que ces données soient, en temps réel ou différé, mises à la disposition de l'Autorité de régulation. Elle doit contrôler si les joueurs n'ont pas un comportement pathologique (dans le jeu s'entend), et mettre en place un système de possible exclusion dans ce cas, ou en cas de fraude.

Techniquement, l'opérateur est tenu de mettre en place un site dédié, exclusivement accessible par un nom de domaine de premier niveau comportant la terminaison « .fr ».

La collecte d'informations personnelles

Afin de renforcer le contrôle de l'Autorité de régulation, l'article 38 de la loi énonce que les opérateurs doivent mettre à la disposition permanente de cette autorité des données portant sur :

1° L'identité de chaque joueur, son adresse et son adresse sur un service de communication au public en ligne ;
2° Le compte de chaque joueur, notamment sa date d'ouverture, et les références du compte de paiement;
3° Les événements de jeu ou de pari et, pour chaque joueur, les opérations associées ainsi que toute autre donnée concourant à la formation du solde du compte joueur ;
4° Les événements relatifs à l'évolution et à la maintenance des matériels, plates-formes et logiciels de jeux utilisés.

L’article 2, 3° du décret n° 2010-518 du 19 mai 2010 relatif à la mise à disposition de l’offre de jeux et de paris par les opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne[2], précise que le joueur doit être informé par l'opérateur de ce que la demande d’ouverture d’un compte-joueur emporte renonciation de sa part au droit de s’opposer à la collecte et au traitement de données à caractère personnel le concernant, droit prévu à l’article 38, alinéa 1er de la loi du 6 janvier 1978[3].

Il est également précisé dans ce décret que l'opérateur doit refuser l'ouverture d'un compte à toute personne ne lui ayant pas communiqué l'intégralité des renseignements requis.

Il est en outre prévu que toute personne sollicitant l'ouverture d'un compte joueur auprès d'un opérateur doit lui communiquer, dans le délai d'un mois à compter de sa demande d'ouverture, la copie d'une carte nationale d'identité, d'un passeport ou d'un permis de conduire en cours de validité justifiant de son identité et de sa date de naissance.

L'article 13 du décret précise ce que « retrace » (c'est le mot employé), un compte joueur:

1° Les données personnelles du joueur : nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, adresse postale du domicile et, le cas échéant, adresse de courrier électronique ;
2° L'identifiant permettant au joueur d'accéder à son compte ;
3° La date la plus récente à laquelle le joueur a accepté les clauses du règlement portant conditions générales de l'offre de jeux et de paris ;
4° Les références du compte de paiement du joueur ;
5° La date de création du compte ;
6° Les montants retenus par le joueur ;
7° Le solde des avoirs du joueur, en distinguant les sommes versées par le joueur, les sommes versées par l'opérateur sous forme de gains, y compris les abondements de gains, et les sommes versées par ce dernier à titre d'offre promotionnelle et pouvant être misées par le joueur ;
8° L'historique, sur un an, des mises, des gains et des pertes du joueur, pour chaque course hippique, compétition sportive ou partie de jeux de cercle ;
9° L'historique, sur un an, des offres promotionnelles attribuées par l'opérateur sous quelque forme que ce soit, y compris les lots en nature ;
10° L'historique, sur un an, du déroulement des parties de jeux de cercle auxquelles le joueur a participé ;
11° L'historique, sur un an, des mouvements financiers affectant le compte.


On remarquera donc qu'il est effectivement pour le moins nécessaire, dans ces conditions, que tout joueur renonce expressément au droit de s'opposer à la collecte de données le concernant, au vu de l'ampleur des renseignements recueillis et mis à disposition.

On peut en outre s'étonner quelque peu de l'ampleur des renseignements requis auprès des joueurs en application de la loi, renseignements qui ne semblent pas tous nécessaires à la protection de leur santé ni à la protection des mineurs, notamment en ce qui concerne les informations bancaires. Que ces informations bancaires soient sollicitées par l'opérateur est une nécessité ; que la loi prévoit l'obligation pour les opérateurs de conserver et de transmettre ces données à une autorité administrative (ainsi que l'historique des parties et tous les mouvements financiers sur une année), dans le souci officiel de la protection de la santé du joueur, est un peu plus étonnant, de même si l'on poursuit l'objectif de protection de l'ordre public et de la sécurité publique.

En application de ce décret, certaines sociétés de pari en ligne affirment dans leur contrats d'adhésion valant règlement que les données des joueurs sont conservées 5 ans dans un coffre-fort électronique pour être à la disposition de l'Autorité de régulation; que ces donnée ne seront détruites que 5 années après la clôture du compte-joueur.

N'est-ce pas alors trop en faire, le décret n'évoquant qu'un délai d'une année au sujet de l'historique des parties et des mouvements financiers? Dans quelle mesure un tel délai peut-il juridiquement se justifier? La santé du joueur en dépendrait-elle vraiment, ainsi que le respect de l'ordre public ? Une chose est en tout cas certaine pour les joueurs citoyens lambda: ils doivent choisir, sur internet, entre la passion du jeu et le souhait d'anonymat.

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.

Le blog Le droit des jeux d'argent et de hasard

Notes et références