Rgpd : la liberté d’expression et d’information des éditeurs de presse

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Amanda Dubarry avocat au barreau de Paris et Marussia Samot (stagiaire) [1]
Août 2021



A propos de : TJ Paris, 30 Juin 2021, n° 20/05100


L’actualité judiciaire et législative témoigne régulièrement de la conciliation difficile entre la protection des données personnelles des individus et le droit à la liberté d’expression.


Dernièrement, le Tribunal judiciaire de Paris, dans un arrêt remarqué du 30 Juin 2021, a une nouvelle fois privilégié la liberté d’expression à la protection de la e-réputation.


Cette solution classique en la matière et naturellement souhaitable dans une société démocratique, interroge toutefois sur la réelle effectivité du « droit à l’oubli » consacré par le règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016 (RGPD).

Les faits

Le journal 20 MINUTES avait publié le 15 Juin 2009 un article rapportant la condamnation pénale d’un ancien responsable de club sportif, par le Tribunal correctionnel de Nanterre, pour des faits remontant entre 2002 et 2004.


Selon ce même article, le prévenu avait été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis et de 20 000 euros d’amende, pour complicité d’abus de confiance, recel de bien obtenu à l’aide d’un abus de confiance, ainsi qu’abus de biens sociaux.


Interjetant appel auprès de la Cour d’appel de Versailles, il avait pu obtenir une relaxe partielle ainsi qu’une réduction de peine.


Au vu de l’ancienneté des faits de plus de 15 ans, de l’absence de mention par l’article litigieux de l’arrêt d’appel qui a partiellement infirmé la décision de première instance et de l’ampleur du préjudice ainsi causé sur sa vie privée et professionnelle, l’ancien responsable du club met en demeure le quotidien au titre des demandes suivantes :


  • A titre principal la suppression de l’article du 15 Juin 2019 sur le site Internet de 20 MINUTES ;
  • A titre subsidiaire l’anonymisation de l’article pour éviter toute référence à ses nom et prénoms ;
  • A titre infiniment subsidiaire d’ordonner le déréférencement de l’article dans les 72 heures afin qu’il ne soit plus indexé par les moteurs de recherche.


Le journal 20 MINUTES a mis à jour son article, mais a refusé de le retirer de son site ou de l’anonymiser. Dans ce contexte, le journal a été assigné en justice devant le Tribunal judiciaire de Paris.


Les motivations des parties

Le demandeur se fonde sur le droit à la protection des données personnelles, plus particulièrement son droit d’opposition et son « droit à l’oubli » (ou droit à l’effacement), en application des articles 17 et 21 du RGPD, ainsi que de l’article 82 de la Loi informatique et libertés.


La société 20 MINUTES France lui oppose le droit à la liberté d’expression, affirmé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, lequel ne peut être restreint qu’en cas de motif légitime et impérieux et de caractère non absolu de la protection des données personnelles.


Or, selon l’article 17-3 du RGPD, ainsi que son considérant 65, le droit à l’effacement et le droit d’opposition ne s’appliquent pas dès lors que le traitement en cause est nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression.


La décision du Tribunal judiciaire

Le droit à l’information, un caractère essentiel de l’activité des éditeurs de presse

En ce qui concerne l’exercice du droit à l’effacement, le Tribunal rappelle que ce droit n’est pas absolu.


Ses dispositions ne sont pas applicables dans la mesure où « les éditeurs de presse bénéficient, pour l’application des règles relatives à la protection des données personnelles, d’un régime dérogatoire prenant en compte le caractère essentiel de leur activité pour la préservation de la liberté d’expression et d’information », aux termes de l’article 17-3.a du RGPD.


Les règles concernant la mise en œuvre du droit au déréférencement de contenus indexés par un moteur de recherche, consacré par la décision Google Spain de la CJUE, ainsi que par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, ne s’appliquent pas en l’espèce. En effet, l’activité de presse consiste à publier de l’information sur une personne concernée. Elle n’est pas assimilable à celle d’un moteur de recherche, consistant à repérer toute information disponible sur cette personne, et établir son profil.


En ce qui concerne l’exercice du droit d’opposition, « sa mise en œuvre ne doit pas, quant à elle, conduire à restreindre de façon excessive la liberté de la presse et de façon générale l’intérêt légitime poursuivi par un organe de presse, à savoir informer le public ».


En ce qui concerne la demande d’anonymisation, retirer les nom et prénoms d’une personne condamnée en justice, objet de l’article, prive celui-ci de tout intérêt et « serait susceptible d’excéder les restrictions pouvant être apportées à la liberté de presse ».


Le droit à l’information prête main-forte à la formation de l’opinion démocratique

Pour le Tribunal, si le droit à la protection des données personnelles consiste à faire disparaître à première demande des contenus médiatiques publiés sur Internet, il ne peut être interprété « indépendamment d’un abus de la liberté d’expression et des règles de procédure destinées à protéger cette liberté fondamentale, dans la mesure où ils constituent un vivier d’informations à disposition des internautes devant pouvoir faire des recherches y compris sur des évènements passés ».


Il est également relevé que la presse est « truffée de données personnelles ». Or, le droit à la protection des données personnelles ne peut en outre user du droit à l’anonymisation pour priver des articles de pertinence et de sens.


L’article contribue au débat d’intérêt général. En ce sens, la mission des organes de presse, notamment la mise en ligne d’articles plus anciens, sert à la formation de l’opinion démocratique, et permet au public d’être informé d’évènements d’actualité et plus anciens conservant une pertinence d’intérêt général.


Il est à noter que le demandeur avait, à l’époque des faits évoqués, été nommé patron de la Fédération française des sports de contact.


L’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du demandeur n’est pas non plus relevée par le Tribunal, dès lors que la condamnation pénale avait été prononcée en audience publique et fait l’objet de nombreux articles de presse, ce qui permet de relativiser l’atteinte portée par l’article litigieux.


A cet égard, il n’est pas non plus justifié que ledit article ait fait l’objet d’une diffusion importante.


La Cour tranche ainsi en faveur de l’organe de presse et déboute le demandeur de ses demandes.