Sanctions de la contrefaçon (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Murielle Cahen,
Avocat au barreau de Paris
Publié le Mars 2014 sur le blog de Me Murielle Cahen


La contrefaçon constitue un phénomène en augmentation constante, amplifié par la mondialisation et par la vente sur Internet. Aucun secteur de l’activité économique n’est aujourd’hui épargné et la gamme de produits contrefaits ne cesse de se diversifier. Selon une étude de l’OCDE de février 2011, la contrefaçon représente 5 à 7% du commerce mondial. L’achat de produits contrefaits est sanctionné en France comme dans les pays de l’Union européenne et constitue un délit pénal. La lutte contre la contrefaçon, qui menace à la fois l’économie, la santé et la sécurité, est au cœur de l’action des services douaniers et représente une priorité d’action de l’Union européenne.

En France, une entreprise sur deux s’estime confrontée aux difficultés de la contrefaçon. Les conséquences sont souvent lourdes : tout d’abord pour les entreprises, la contrefaçon engendre la perte de parts de marché, la destruction d’emplois, et ternit l’image de marque ; ensuite pour l’État, elle constitue une source d’évasion fiscale importante et a un coût économique et social ; et enfin pour les consommateurs, elle est une tromperie sur la qualité du produit et peut même s’avérer dangereuse pour la santé et la sécurité (médicaments mal dosés, usures prématurées des pièces de rechange des véhicules automobiles).

La contrefaçon ( se définit comme une pratique anticoncurrentielle en violation d’un droit de propriété intellectuelle.

Le contrefacteur va créer une confusion entre le produit original et le produit contrefaisant de sorte qu’il cherche à s’approprier la notoriété d’une autre entreprise ou d’une marque et à profiter des investissements du titulaire du droit de propriété intellectuelle sans son autorisation.

Le code de la propriété intellectuelle la définit aux articles L. 335-2 et suivants comme la reproduction, l’usage, l’apposition ou l’imitation d’une marque ; toute copie, importation ou vente d’une invention nouvelle ; toute reproduction totale ou partielle d’un dessin ou modèle ; toute édition d’écrits, de compositions musicales, de production imprimée ainsi que toute reproduction, représentation ou diffusion d’une œuvre de l’esprit en violation des droits d’auteur, etc. Ainsi, il existe plusieurs définitions de la contrefaçon suivant le droit de propriété intellectuelle qu’elle atteint.

Consciente de l’importance de la propriété intellectuelle pour l’innovation, la création et l’encouragement à l’investissement, la France par le biais notamment de l’Union européenne, cherche de longue date à protéger les créateurs et inventeurs.

Au cours de ces derniers années et pour lutter contre ce phénomène croissant, la protection juridique de la propriété intellectuelle s’est sensiblement renforcée, non seulement dans sa définition, mais également dans son champ d’application. Ainsi, la contrefaçon est susceptible d’entraîner trois types de sanctions : civiles, pénales et douanières.


I- Les sanctions civiles

L’action civile est la voie la plus fréquemment empruntée des victimes de la contrefaçon, notamment parce qu’il existe des juridictions spécialisées qui ont l’habitude d’évaluer le montant du préjudice par une analyse comptable et technique des faits. Cette action, basée sur la seule protection des droits privatifs et exclusifs du bénéficiaire, va consister à demander un dédommagement financier en réparation de son préjudice.

A) L’indemnisation du préjudice

L’action civile de la contrefaçon tend à la réparation du préjudice subi par l’octroi de dommages et intérêts. Leur montant n’est pas déterminé par les textes législatifs, mais selon les principes généraux de la responsabilité civile. En effet, selon la loi du 29 octobre 2007 qui transpose la directive du 29 avril 2004, la contrefaçon engage « la responsabilité civile de son auteur », ceci n’était pas nouveau.

En revanche, la nouveauté se situe dans le régime d’évaluation des dommages et intérêts, régime spécifique des atteintes aux droits intellectuels. La directive du 29 avril 2004 prévoyait d’une part la possibilité pour les États membres de mettre en place un système d’indemnisation plus clément lorsque le contrefacteur avait agi de bonne foi, et d’autre part un mode spécifique d’évaluation des dommages et intérêts.

En transposant la directive, la France n’a retenu que la deuxième disposition en prévoyant deux façons d’évaluer les dommages et intérêts pour l’ensemble des droits de propriété intellectuelle : une évaluation forfaitaire indiquant que la victime peut obtenir une somme forfaitaire correspondant à ce qui aurait été dû si le contrefacteur avait obtenu l’autorisation d’exploiter le bien protégé ; et une évaluation ordinaire prenant en compte trois éléments qui sont les conséquences économiques négatives subies par la partie lésée, le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte et les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Les deux premiers éléments sont classiquement utilisés par la jurisprudence alors que le troisième mérite des précisions.

Traditionnellement, le principe de la réparation intégrale suppose de réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice. Or, les bénéfices réalisés par le contrefacteur ne font pas partie du préjudice subi par la victime ; la victime pouvant parfaitement subir un préjudice sans que le contrefacteur ne réalise de bénéfice et inversement. Avec la loi de 2007 se trouve ainsi instauré un régime de responsabilité nouveau, sui generis, prenant en compte le bénéfice réalisé par le contrefacteur.


B) La cessation de l’exploitation contrefaisante

La loi de 2007 a institué d’autres sanctions civiles de la contrefaçon permettant au tribunal d’interdire à tout contrefacteur, de bonne ou de mauvaise foi, de poursuivre l’exploitation des droits de propriété intellectuelle détenus par un tiers. Il peut également ordonner que les produits contrefaisant ainsi que les matériaux et instruments ayant servi à leur création soient rappelés et écartés des circuits commerciaux puis détruits ou confisqués au profit de la victime.

Pour les contrefaçons de brevets, marques et modèles, ces mesures d’interdiction sont souvent accompagnées d’une astreinte. Concernant les droits de propriété littéraire et artistique, le juge peut ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon pour qu’elles soient remises à la partie lésée ou à ses ayants droit. Des procédures dites d’urgence peuvent permettre au demandeur d’obtenir l’interdiction provisoire des actes incriminés de contrefaçon de marque, de brevet ou encore de droits d’auteur afin d’éviter l’aggravation du préjudice subi. Des mesures de publicité sont également prévues, le tribunal pouvant ainsi ordonner la publication totale ou partielle du jugement de condamnation dans les journaux ou sur internet, aux frais du contrefacteur.


II- Les sanctions pénales

L’action pénale permet de déclencher une enquête de police, mais également d’obtenir la condamnation du contrefacteur à une peine d’amende et/ou de prison. Malgré une préférence nette pour l’action civile en cette matière, certaines entreprises agissent systématiquement au pénal, car elles considèrent que la sanction pénale est plus dissuasive pour les contrefacteurs.

A) Les peines principales et complémentaires

Qu’il s’agisse de la contrefaçon de propriété littéraire ou artistique (article L. 335-2 et s. CPI), de dessinset modèles (article L. 521-2 et s. CPI) ou de brevet d’invention (article L. 615-14 et s. CPI), les peines sont identiques et sont de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende à l’encontre des personnes physiques.

Toutefois, la contrefaçon de marques de fabrique, de commerce et de service (article L. 716-9 et s. CPI) est punie de quatre ans d’emprisonnement et de 400 000 euros d’amende ; seuls les délits assimilés à cette dernière (article L. 716-10 CPI) font encourir à leur auteur trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Pour les personnes morales, l’amende est égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques (article 131-38 du Code pénal) et les peines mentionnées à l’article 131-39 du Code pénal sont applicables : dissolution, fermeture, placement sous surveillance électronique…

Lorsque l’infraction est commise en bande organisée, auquel cas elle se trouve également soumise à certains aspects procéduraux du régime dérogatoire de droit commun, ou lorsqu’elle porte sur « des marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité de l’homme ou de l’animal », les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende.

En cas de récidive, les peines sont portées au double. Mais la loi prévoit en plus des peines complémentaires communes aux différents droits de propriété intellectuelle : la fermeture totale ou partielle, définitive ou temporaire, pour une durée de cinq ans au plus, de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction ; la confiscation des titres de propriété industrielle, des produits et œuvres contrefaisants et du matériel spécialement destiné à leur contrefaçon ; et l’affichage du jugement ou de sa publication aux frais du prévenu. Les mêmes peines sont prévues pour les personnes morales (article 131-39 du Code pénal).


B) Le recel de contrefaçon

Posséder un objet de contrefaçon constitue un acte de recel, mais si le détenteur du produit contrefaisant est de bonne foi, le droit pénal s’en désintéressera. A l’inverse, s’il a connaissance du caractère contrefaisant des produits qu’il détient, il peut alors être considéré comme auteur de recel de contrefaçon.

En effet, le recel est le fait de dissimuler, détenir, transmettre, ou faire office d’intermédiaire afin de transmettre une chose dont on sait qu’elle provient d’un crime ou d’un délit (article 321-1 al 1 du Code pénal). L’infraction réside aussi dans le fait de bénéficier, en connaissance de cause et par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit (article 321-1 al 2 du Code pénal). Il ne suffit pas que la personne invoque son ignorance de l’origine de la chose pour que sa bonne foi soit reconnue.

La mauvaise foi peut se déduire des circonstances telles que l’achat à bas prix ou sans facture. Le receleur encourt les peines de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende (article 321-1 du Code pénal) mais les peines peuvent être aggravées en raison du recel lui-même, notamment s’il est habituel, lié aux facilités procurées par l’exercice d’une activité professionnelle ou commise en bande organisée ainsi qu’en raison de l’infraction d’origine qui peut être réprimée plus sévèrement que le recel simple ou aggravé et auquel cas le receleur encourt les peines attachées à cette infraction s’il en a eu connaissance, même s’il en ignore la gravité. Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables du recel commis par un de leurs dirigeants ou représentants agissant pour leurs comptes.


III- Les sanctions douanières

Les services de douanes qui découvriraient des produits contrefaits ont la possibilité de les saisir afin de les retirer immédiatement des circuits commerciaux. Le procureur de la République et le titulaire du droit de propriété intellectuelle sont alors informés et peuvent intenter une action. Cependant, cette démarche est indépendante de la procédure contentieuse mise en œuvre par la douane, cette dernière pouvant décider de poursuivre les auteurs de l’infraction devant les tribunaux, car l’importation d’un produit contrefait est également un délit douanier.


A) La répression par les services douaniers

En ce qui concerne les infractions constatées lors du dédouanement ou en transit, plusieurs articles du Code de la propriété intellectuelle posent des interdictions : article L. 716-9, L. 716-10, L. 613-3, L. 513-4, L. 335-2 et L. 335-4. Ces infractions peuvent être poursuivies soit par la voie transactionnelle, soit par la voie judiciaire.

La transaction est souvent mise en œuvre pour les infractions de faible gravité commises par les voyageurs. La mise en œuvre de l’action pour l’application des sanctions douanières appartient à l’administration des douanes qui apprécie l’opportunité des poursuites. La contrefaçon est un délit douanier au sens de l’article 414 du Code des douanes. Les sanctions fiscales douanières sont cumulatives avec les sanctions pénales de droit commun susceptibles d’être infligées à l’auteur de la contrefaçon.

Ainsi, le Code des douanes prévoit la confiscation des marchandises de fraude, des moyens de transport et des objets ayant servi à dissimuler la fraude ; une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l’objet de la fraude (lorsque les faits sont commis en bande organisée, la peine d’amende peut être portée jusqu’à cinq fois la valeur de l’objet en fraude) ; et un emprisonnement maximum de 3 ans (lorsque les faits sont commis en bande organisée, la peine d’emprisonnement maximum est portée à dix ans).


B) Une lutte renforcée

Le nouveau règlement (UE) nº 608/2013 concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle et abrogeant l’ancien règlement (CE) n°1383/2003 a été adopté le 12 juin 2013 et s’applique depuis le 1 janvier 2014. Entrent désormais dans la définition des droits de propriété intellectuelle concernés par les contrôles douaniers : la topographie de produit semi-conducteur, le modèle d’utilité et le nom commercial. Dans la procédure, des éléments nouveaux apparaissent.

Désormais, les informations collectées par les douanes pourront être exploitées notamment pour réclamer une indemnisation au contrefacteur en dehors de toute action civile ou pénale. De plus, la procédure de destruction simplifiée des marchandises présumées contrefaisantes auparavant optionnelle est désormais obligatoire.

Cette procédure permet, sans qu’il soit nécessaire de déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle, que ces marchandises soient détruites sous contrôle douanier, sous réserve du consentement, exprès ou implicite, du déclarant ou détenteur des marchandises. Pour initier cette procédure, le titulaire des droits doit avoir confirmé aux autorités douanières qu’à son avis il s’agit bien de contrefaçon et qu’il consent à la destruction des marchandises. Les douanes demandent alors l’accord du détenteur, s’il reste silencieux, les douanes peuvent prendre l’initiative de la destruction.

Dans un arrêt du 6 février 2014, la CJUE a statué à titre préjudiciel sur l’interprétation de cette procédure de l’ancien règlement douanier (2003). Un ressortissant danois avait acquis une montre décrite comme étant une montre de luxe sur un site internet chinois. Suite à un contrôle du colis par les autorités douanières, il a été constaté que la montre était une contrefaçon.

La destruction a donc été sollicitée, mais l’acquéreur a contesté cette décision. La CJUE a précisé que le règlement pouvait s’appliquer au bénéfice du titulaire de droits de propriété intellectuelle sur une marchandise vendue à une personne résidant sur le territoire d’un État membre, à partir d’un site internet de vente en ligne situé dans un pays tiers. Ainsi, la cour énonce « qu’il n’est pas nécessaire que, (…) préalablement à la vente, la marchandise en cause ait fait l’objet d’une offre de vente ou d’une publicité s’adressant aux consommateurs de ce même État ».

Sources :

Liens connexes :

  • Enchères en ligne et contrefaçon
  • Adwords et le risque de contrefaçon

Voir aussi

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