Séparation des parents et enfant en bas âge : quelles solutions ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

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Par Barbara Régent, avocate au barreau de Paris


Pour un juge aux affaires familiales, apprécier l’intérêt d’un enfant, notamment quand les deux parents sont dotés de qualités parentales équivalentes, est un processus intellectuel difficile. En effet, saisi, en cas de séparation parentale, d’un litige portant sur la résidence de l’enfant en bas âge, il devra se prononcer in concreto en appréciant l’intérêt de l’enfant.

Le législateur ayant fait le choix en 2002 de ne fixer aucun critère d’âge dans la loi, le juge doit rechercher, dans chacun des dossiers soumis, quel est l’intérêt du jeune enfant de vivre chez l’un de ses deux parents majoritairement ou en résidence alternée si elle est demandée. Il statue à partir d’éléments concrets du dossier, mais peut aussi s’appuyer sur des études publiées dans les revues scientifiques par des pédo-psychiatres, notamment sur les théories de l'attachement. Cependant, il n’existe pas de consensus sur cette question : certains auteurs mettent fortement en doute la pertinence de la résidence alternée pour les enfants de moins de 6 ans[1] alors que d'autres nuancent cette vision. Ainsi, la revue Attachment and Human Development, revue officielle de la très influente Society for Emotion and Attachment Studies, a publié le 11 janv. 2021 un article cosigné par 70 spécialistes de l'attachement[2] . Ils affirment qu'accorder la priorité à l'un des parents pourrait compromettre le développement et le maintien des autres relations d'attachement de l'enfant. Dans ce cas, son sentiment de confiance à l'égard des personnes qui prennent soin de lui serait susceptible d'être altéré, impactant durablement sa capacité à s'adapter dans ses différents contextes de vie, comme à la crèche ou à l'école par exemple. L'article souligne qu'il n'existe aucun accord global parmi les spécialistes de l'attachement concernant un « âge seuil » en-dessous duquel la résidence alternée serait déconseillée. En revanche, ils s'accordent pour affirmer qu'il est dans l'intérêt de l'enfant de pouvoir développer et maintenir des relations d'attachement avec ses deux parents, et que cela nécessite pour eux de passer un temps suffisant ensemble. La co-parentalité équilibrée est donc une voie pour y parvenir[3].

Comme le souligne Bruno LEHNISCH dans une étude récente publiée chez DALLOZ, le juge doit se déterminer in concreto en se gardant d'un usage « dogmatique » de ces théories.

En pratique, les juridictions semblent hésitantes sur la question de l’âge de l’enfant, ce qui nourrit l’inquiétude légitime des deux parents qui craignent l’aléa judiciaire. Les intervenants judiciaires (magistrats, avocats, experts…) et les parents doivent donc se poser ces questions essentielles : l’enfant de moins de 6 ans a-t-il les facultés d’adaptation et la capacité émotionnelle lui permettant de vivre en résidence alternée ? Les bénéfices qu’il peut en retirer au plan affectif sont-ils contrebalancés par les contraintes en termes de stabilité de ses repères ?

Aucune ligne directrice claire ne se dégage de l’analyse de la jurisprudence.

Ainsi la cour d’appel de Versailles a jugé en 2019 que « l’enfant doit être capable de supporter le rythme de l’alternance et que l’enfant en bas-âge a besoin de maternage. (…) Les rythmes de l’alternance sont inappropriés pour C et A, âgés de quatre ans et demi et d’un an et demi, qui développent actuellement leur sociabilité et leurs apprentissages et qui ont un besoin impératif de stabilité, de repères spatio-temporels fixes et de conserver leurs habitudes routinières. Du fait de leur jeune âge, ils ont besoin d’un lieu de vie stable et ne doivent pas être éloignés de leur figure principale d’attachement » (CA Versailles, 27 juin 2019, n° 19/01629).

À l’inverse, la cour d'appel de Chambéry, a pu affirmer en 2017 que : « l'âge de l'enfant n'est pas un critère décisif du choix de la résidence. En effet, ce critère reviendrait à refuser systématiquement un mode de résidence alternée pour de jeunes enfants et à attribuer ipso facto la résidence à la mère. Or, le bien-fondé de l'automaticité d'un tel choix est loin d'être démontré, et ne fait pas l'unanimité des écoles de pensée psychologiques » (Chambéry, 3e ch., 23 janv. 2017, n° 16/01361).

Citons également, dans le même sens, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence : « le jeune âge de l’enfant, aujourd’hui trois ans, ne peut à lui seul constituer un obstacle à une résidence en alternance » (CA Aix en Provence., 6e ch., sect. A, 27 févr. 2007 : jurisdata n°2007-342859).

Il est également possible d’organiser une co-parentalité équilibrée avec effet différé, comme le montrent deux arrêts récents de cours d'appel.

En premier lieu, la cour d'appel de Montpellier a ordonné en 2019 une telle modalité : « il convient de fixer la résidence habituelle de la fillette, âgée de près de deux ans, chez la mère jusqu'à ses trois ans (…). À compter des trois ans de l'enfant, rien ne s'oppose à la mise en place d'une résidence alternée » (CA de Montpellier, 12 avr. 2019, n° 17/04599).

De même, la cour d'appel de Versailles a récemment « programmé » une résidence alternée avec un an d'avance pour un enfant âgé, au moment de l’arrêt, de 3 ans et demi. Les juges ont ordonné la résidence alternée à compter de la rentrée scolaire de septembre 2021 (CA de Versailles, 29 oct. 2020, n° 19/04525).

En conclusion, si l'âge de l'enfant fait partie des éléments à prendre en compte dans le cadre d’une décision de résidence, c'est surtout le contexte (la proximité des domiciles réciproques, l’activité professionnelle des parents, mais aussi le bain culturel, la répartition des rôles parentaux, l’entourage familial, l’histoire des relations de l'enfant avec chacun de ses parents, la présence ou non d’un conflit parental…). qui peut permettre d’opter pour l’une ou l’autre des solutions entre la résidence alternée ou la fixation chez l’un ou l’autre des parents du domicile de l’enfant. Mais il est surtout important de garder en mémoire que rien ne doit être figé et que les besoins de l’enfant peuvent évoluer.

Ainsi, lorsque les conditions sont réunies (proximité géographique, conditions d’accueil des enfants, disponibilité suffisante de chaque parent…), il est possible de mettre en place une résidence alternée selon un rythme qui sera adapté à chaque famille : une semaine/une semaine, 2/2/5/5, alternance par quinzaine avec des coupures, progressivité en fonction de l’âge, essai provisoire… Toutes les formules sont possibles à partir du moment où les parents engagent des discussions apaisées et guidées par la sécurité de l’enfant et une nouvelle sérénité à bâtir pour chacun.

À cet égard, l’avocat doit jouer un rôle de pacificateur, comme je l’ai souligné récemment dans une tribune publiée chez Ouest France. L’idéal est qu'enfants et parents soient bien dans le modèle qu’ils auront construit tous ensemble, plutôt que de se voir imposés par un tiers (un juge) une formule rigide qui, bien souvent, ne conviendra à personne. L’hyperpersonnalisation des modalités de l’autorité parentale, qui ne peuvent être copiées/collées d’un dossier à l’autre, doit être proposée par les avocats pour optimiser les conditions de vie des enfants et des parents.

Références

  1. M. Berger, A. Ciccone, N. Guédeney et H. Rottman, La résidence alternée chez les enfants de moins de six ans : une situation à hauts risques psychiques, Devenir 2004/3, vol. 16, p. 213-228
  2. https://cirpa-france.fr/attachement-et-separation-parentale/ ; « Attachment goes to court : child protection and custody issues » in Attachment and Human Development, 11 janv. 2021 en open access, cosigné par 70 spécialistes de l'attachement
  3. Voir mon article sur les avantages et inconvénients de la résidence alternée : https://www.village-justice.com/articles/residence-alternee-avantages-inconvenients,39829.html