Signes distinctifs et le système AdWords : cru 2013 de la Cour de cassation (fr)

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Auteurs : Isabelle Gavanon et Philippe Boutron
Avocats au barreau de Paris
FIDAL[1]
Publié le 04/09/2014 sur le Blog du cabinet FIDAL



Mots clefs : Système AdWords, signes distinctifs, marque, référencement, parasitisme, contrefaçon, sanctions,



L’utilisation de signes distinctifs de tiers pour capter du trafic Internet grâce aux AdWords est licite, sauf s’il en résulte un risque de confusion ou une atteinte à la fonction d’origine dont la démonstration s’avère difficile. La protection de ces signes doit donc aussi être recherchée sur le fondement du parasitisme grâce à des faisceaux d’indices caractérisant un usage sans bourse délier du travail d’autrui.

L’utilisation de la marque d’un concurrent comme mot clé dans les AdWords peut être sanctionné sur le terrain de la contrefaçon uniquement si l’atteinte à la fonction d’origine est caractérisée.

Les acteurs économiques doivent s’en remettre à l’appréciation souveraine des juges du fond pour déterminer l’existence d’un risque de confusion avant de solliciter Google pour la suppression de mots clés reprenant leurs signes distinctifs, sous peine de sanctions financières sur le fondement de la concurrence déloyale.

Suite aux arrêts de la CJUE[1], la Cour de cassation a jugé que choisir la dénomination sociale d’un concurrent comme mot-clé dans le service Google AdWords est licite, sauf à démontrer un risque de confusion des résultats Internet obtenus avec le mot-clé litigieux et le site de l’utilisateur « légitime » du signe distinctif. Elle précise que « le démarchage de la clientèle d’autrui est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal[2] » et considère ainsi que la volonté de récupérer le trafic Internet constitué par les requêtes des internautes n’est pas déloyal.

Les juges du fond doivent particulièrement caractériser le risque de confusion entre les résultats Internet obtenus pour « l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif » qui doit déceler si les produits ou services visés dans la page de résultats proviennent du titulaire de la marque ou d’un tiers. A défaut, ils encourent cassation.

Si la confusion est caractérisée lorsque cette rédaction laisse croire à l’existence d’un lien économique entre l’annonceur et le titulaire légitime du signe distinctif, notamment en cas de reprise de la marque dans les pages affichées, cette caractérisation peut se révéler délicate dans toutes les hypothèses de pages internet rédigées de façon (volontairement) ambiguës.

Ces rédactions ambiguës sont soumises à l’appréciation souveraine des juges du fond. L’application du critère de l’atteinte à la fonction d’origine de la marque, caractérisant le risque de confusion, s’avère assez aléatoire car d’appréciation subjective et donc variable d’un juge à un autre.

Point trop de zèle pour présumer du risque de confusion

La Cour de cassation dans son arrêt du 14 mai 2013[3] a jugé que la demande formulée par la société Sogelink de suppression du mot-clé reprenant sa marque, réservé à titre d’AdWords par son concurrent la société Sig-image, est constitutive d’un acte de concurrence déloyale dans la mesure où ce titulaire de marque n’a pas démontré de confusion avérée entre ses produits et ceux de son concurrent.

Ainsi, le « malheureux » titulaire de marque s’est vu condamné à payer 80.000 € de dommages et intérêts à son concurrent pour « sanctionner » cette demande de suppression de référencement , en ce qu’ « elle a privé indûment cette dernière -Sig-image- d’un moyen d’accéder à une clientèle pour lui proposer son service» et a ainsi « commis une faute ayant privé la société Sig-image de la possibilité de générer un chiffre d’affaires important.

Comment dans ce contexte mieux protéger sa marque sur internet ? 

En tout premier lieu, les titulaires de marques doivent utiliser leurs propres marques pour réserver les mots clés des AdWords, avant que leurs concurrents ne le fassent.

Privilégier une forte distinctivité visuelle. Par ailleurs, compte tenu de la nature du support internet qui donne la part belle au visuel, les titulaires de marques doivent travailler la distinctivité visuelle de leur signe pour accroitre leur visibilité sur Internet.

Ce travail pour tenir compte de la spécificité d’Internet requiert des investissements supplémentaires auxquels des tiers pourraient porter atteinte s’ils reprennent des signes distinctifs pour capter la clientèle de leurs concurrents. Dès lors, pour pallier les aléas judiciaires de la caractérisation de l’atteinte à la fonction d’origine, les titulaires de marques pourraient-ils arguer d’une atteinte à la fonction d’investissement ? Probablement pas en l’état de la jurisprudence et il est éminemment regrettable que la CJUE soit si absconse sur cette notion qu’elle a pourtant elle-même forgée !

Par un retour aux fondamentaux de la responsabilité délictuelle et ses déclinaisons économiques que sont la concurrence déloyale et le parasitisme. Cette impéritie à faire sanctionner l’usage de son signe par autrui est d’autant moins compréhensible pour les acteurs économiques que l’atteinte à leurs intérêts, à défaut d’une atteinte à leurs droits, est manifeste puisqu’il en résulte un détournement d’une partie du trafic internet qui leur était naturellement destiné.

En droit communautaire, la notion de parasitisme est analysée par la Cour de justice au travers du prisme de la marque renommée. Le titulaire d’une marque renommée peut ainsi interdire son usage par un tiers, dans le cadre d’un service de référencement, lorsque ce dernier tire un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque. Ce sera notamment le cas lorsque le concurrent se borne à offrir une simple imitation des produits et services offerts par le titulaire[4].

En droit français, au contraire, la notion de parasitisme n’est pas tributaire du droit des marques. Les juridictions françaises la définissent classiquement comme : « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire »[5]. Ainsi, à défaut de pouvoir faire sanctionner la reprise de sa marque ou de sa dénomination sociale, la victime d’une telle pratique pourrait avoir un intérêt à agir sur le fondement de l’article 1382 du Code civil pour caractériser le comportement parasitaire de son concurrent.

Si à notre sens, la simple reprise de la marque ou du signe distinctif d’autrui comme mot-clé pourrait suffire à caractériser un comportement parasitaire, il semble néanmoins judicieux d’inscrire son usage dans un faisceau d’indices afin d’établir le comportement fautif de son concurrent. Pour caractériser le comportement de « suiveur » de son concurrent, on pourra relever son mimétisme en matière de politique commerciale et promotionnelle ou encore le fait qu’il se serait (fortement) inspiré de la présentation du site web ou des conditions de ventes de son concurrent. Ainsi, les juges consulaires qui se sont vus dénier toute compétence en matière de signe distinctif pourraient avoir à connaitre de ces questions au détriment du Tribunal de grande instance dont la rigueur aura fini de décourager les titulaires de droits de se présenter dans leurs prétoires.


Notes et références

  1. CJUE, Gde chambre, 23.3.2010, Google France SARL & Google Inc c/ Louis Vuitton Malletier SA, C-236/08 ; CJUE, 1e chambre, 22.9.2011, Interflora Inc & Interflora British Unit c/ Marks & Spencer plc & Flowers Direct Online Ltd, C-323/09
  2. Cass. com., 29.1.2013, Solutions c/ Google Cobrason, n° 11-21011/11-24713
  3. Cass. com., 14.5.2013, Sig-image c/ Sogelink, n° 12-15534
  4. Arrêt précité, Interflora c/ Marks & Spencer
  5. Cass. com., 26.1.1999, n°96-22457


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.