Surpopulation carcérale, rats... Les prisons sont au bord de l'implosion. Réagissons (fr)

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Par : Maîtres Nathalie Barbier et Marlène Viallet, avocates
Date : octobre 2016
Source : L'Obs le 21/10/2016

Le 6 octobre dernier, le tribunal administratif de Melun a ordonné à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures pour mettre un terme à la prolifération de rats et autres nuisibles dans la prison de Fresnes. En prison, les difficultés ne sont pas que sanitaires rappellent les avocates Nathalie Barbier et Marlène Viallet. Le délabrement est physique mais aussi moral.

La décision du tribunal administratif de Melun est tombée : par ordonnance du juge des référés en date du 6 octobre, la justice donne injonction à l’administration pénitentiaire de prendre dans les meilleurs délais les mesures nécessaires pour lutter contre la prolifération des rats et autres nuisibles à la prison de Fresnes.


Malheureusement, la situation sanitaire à Fresnes n’est que la partie immergée de l’iceberg compte tenu de l’état général des prisons françaises. Le monde carcéral souffre pour l’instant en silence. Mais jusqu’à quand ?


Une surpopulation carcérale qui suscite trop peu de réactions

Le délabrement carcéral est physique mais aussi moral : si les bâtiments sont touchés, les détenus mais aussi l’ensemble du personnel intervenant le sont aussi (surveillants, familles, avocats, médecins). Car si les rats grouillent et font réagir, les détenus eux aussi "grouillent"… Avec 68.819 personnes actuellement incarcérées pour une capacité totale de 58.561 places, le nombre de détenus a atteint un nouveau record avec un taux d’occupation de 117,5%.


Cette surpopulation carcérale record suscite peu de réactions, et c’est dommageable. On peut comprendre que la population française n’ait pas envie d’entendre les difficultés rencontrées dans l’univers carcéral : elle-même fait face à des problèmes quotidiens financiers et/ou familiaux. Ainsi, pour la majorité de l’opinion publique, les détenus méritent la place qu’ils occupent.


Une partie de la population va d’ailleurs plus loin et pense que les conditions de détention sont bien trop faciles. Combien de fois pouvons-nous entendre au détour d’une conversation qu'ils ont un statut de "privilégiés", qu'ils bénéficient même de la télévision en cellule tout en étant nourris et logés grâce aux impôts versés par d’honnêtes citoyens ?


Les rats passent d’ailleurs très furtivement à travers ce discours…


Il ne s’agit pas du bien-être du détenu mais de sa dignité

Ce raccourci très démagogique doit pourtant être contesté car il est la cause principale du désintérêt de l’opinion publique et des politiques, la critique de la prison n’étant pas un thème très vendeur. Or nous devons combattre ces idées reçues et surtout élever le débat.


L’enjeu est primordial : il ne s’agit pas du bien-être du détenu mais bien de sa dignité, d’un traitement inhumain et dégradant, et surtout ce qui est loin d’être un détail de sa réinsertion et par la même de la prévention de la récidive… Dans ce contexte, il est aisé de comprendre que la surpopulation carcérale n’a pas pour seul effet une dégradation des conditions matérielles de la détention mais bien aussi une dégradation de la prise en charge humaine.


Toujours dans ce contexte, on comprend également qu’on ne peut se contenter du "tout carcéral", que la loi doit prévoir des solutions alternatives, notamment par le recours aux aménagements de peine. Ces procédures concernent principalement le placement sous bracelet électronique – mesure la plus connue – mais aussi le placement en centre de semi-liberté, le placement extérieur, ou la libération conditionnelle.


Ici encore il faut écarter la démagogie car l’ensemble des études faites sur ce point arrivent à la même conclusion : l’effet positif de l’aménagement de peine à la sortie est statistiquement confirmé. Pour exemple, 60% de ceux qui ont porté un bracelet électronique ne font pas l’objet d’une nouvelle condamnation dans les 5 ans.


L’aménagement de peine n'est pas un cadeau

En outre, et contrairement à ce qu’affirment les détracteurs de ces mesures alternatives, l’aménagement de peine n’est pas un succédané de la prison et ne correspond nullement à un "cadeau" du législateur ou de l’institution judiciaire.


Les personnes condamnées qui bénéficient d’une telle mesure exécutent bien leur peine (ils ont d’ailleurs un numéro d’écrou) mais dans un autre lieu que la prison, ce qui permet, argument non négligeable, de ne pas perdre son emploi et de maintenir des liens avec la famille : la journée doit être consacrée au travail ou à la recherche d’un emploi, et le soir il y a un enfermement avec des horaires stricts, soit à son domicile soit dans un centre de semi liberté. Ainsi, la liberté n’est que provisoire et le condamné bénéficiant d’un aménagement de peine ne peut l’oublier.


Concernant le bracelet électronique, Noémie Destoc, docteur en psychologie, a pu constater que :


"Le placement sous surveillance électronique est une peine très intimiste, elle s’introduit au sein de la sphère privée. Ce qui n’est pas toujours facile à gérer avec la famille, le conjoint, les enfants. Les murs de la prison ne sont pas physiquement présents, mais doivent se construire dans la tête."


Autre argument choc qui plaide en faveur de ces mesures : leur coût moindre, qui a notamment été évalué à 10 euros par jour pour un bracelet électronique contre 100 euros par jour de prison.


Des unités dédiées aux effets pervers voire contre-productifs

Élémentaire ? Pas tant que cela puisque selon les chiffres officiels du ministère de la Justice, entre le 1er janvier 2015 et le 1er janvier 2016, ces aménagements de peine ont diminué de 10,7%. À force de montrer du doigt uniquement les échecs et ainsi faire porter le poids de la responsabilité aux magistrats, ces derniers sont sans doute devenus frileux à l'égard de telles mesures tout en étant pourtant en majorité convaincus de leur bien-fondé…


Résultat ? La prison grouille et continue de grouiller de plus belle. Dans le même temps, on demande de plus en plus aux prisons et à leurs personnels, comme déradicaliser certains détenus par exemple.


Le rapport du 7 juin 2016 de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté n’a fait que révéler le malaise des professionnels concernant la problématique du regroupement des personnes détenues radicalisées. Ces unités dédiées existent dans quatre prisons : Lille, Fresnes, Osny et Fleury-Mérogis. L’objectif annoncé de cette mesure était simple et précis : lutter contre la radicalisation des détenus en empêchant la "propagation" d’un prosélytisme religieux radical. En terme médical : on isole le virus pour éviter la contamination…


L’ouverture de ces quatre unités dédiées, excepté celle de Fresnes déjà en expérimentation, s’est échelonnée de janvier à mars 2016 et le premier bilan est plus que critique. En effet, au-delà du débat sur leur utilité se pose carrément la question de leurs effets pervers voire contre-productifs.


Le malaise touche les détenus mais aussi les surveillants

Sans balayer d’un revers de manche la complexité du phénomène de radicalisation, que ce soit d’ailleurs en milieu fermé comme en milieu ouvert, beaucoup d’auxiliaires de justice (magistrats, avocats, administration pénitentiaire…), dont les voix sont reprises dans le rapport du 7 juin, s’inquiètent des conséquences néfastes d’une solution inadaptée.


Un jeune homme d’une vingtaine d’années, mis en examen pour association de malfaiteurs et détenu depuis plusieurs mois au sein de l’unité dédiée de Fresnes, a tenté de nous faire partager sa peur et son désarroi :


"Être mélangé avec ceux qui sont partis se battre en Syrie et qui ont du sang sur les mains (alors que lui, sans antécédent judiciaire, n’a jamais quitté la France), cela signifie ne parler que de religion, écouter leurs 'conseils', entendre leurs 'exploits' en Syrie, entendre aussi les cris de guerre qui durent parfois toute la nuit et finir par ne plus sortir en promenade…"


Pour résumer, nous dit-il, les plus modérés sont soumis à une pression constante des plus radicaux, les plus influençables ou simplement immatures pouvant se faire recruter encore plus rapidement et facilement dans ce vase clos qu’est l’unité dédiée.


Le monde carcéral est donc au bord de l’implosion et le malaise est loin de ne toucher que les détenus mais bien tous les acteurs intervenant au quotidien dans ce monde à part. Pour finir de s’en convaincre, il suffit d'aller faire un rapide détour à l’entrée de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis où, en raison de travaux le personnel pénitentiaire et judiciaire grouille… plus d’une demi heure afin d’accéder à leur lieu de travail. Ambiance assurée dans les rangs…