TFPB et bail emphytéotique administratif

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Alice de Massiac, Clara Maignan, avocates au sein du cabinet Deloitte [1]
Mars 2022



Le Conseil d’État juge, pour la 1re fois à notre connaissance, que, dans le cadre d’un bail emphytéotique, l’emphytéote n’est redevable de la TFPB qu’à la condition que ce bail ait été publié au fichier immobilier au cours de l’année en cause. Il apporte également des précisions sur la portée de l’exonération en faveur des propriétés publiques.


Rappel

En principe, l’imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties doit être établie au nom du propriétaire de l’immeuble au 1er janvier de l’année d’imposition.


Il en va toutefois autrement en présence de certaines conventions ayant pour effet de restreindre le droit de propriété.


Tel est notamment le cas en présence d’un bail emphytéotique, bail de longue durée (entre 18 et 99 ans), conférant au preneur un droit immobilier spécial, susceptible d’hypothèque. Ce droit peut notamment être cédé ou saisi. En pareille hypothèse, la loi prévoit que c’est alors l’emphytéote qui est tenu de tous les impôts et charges afférents au fonds, notamment des taxes foncières (CGI, art. 1400, II [2]).


Par le passé, le Conseil d’État a jugé qu’il en allait de même y compris dans le cas d’un bail emphytéotique administratif portant sur le domaine public (CE, décision de non-admission, 21 octobre 2005, n°270647, Sté Etienne).


Dans le cadre de deux toutes récentes décisions, le Conseil d’État se prononce sur le redevable de la TFPB dans le cadre de baux emphytéotiques administratifs assortis d’une délégation de service public.


1re espèce (décision n°449460)

Une société exploitait un centre d’enfouissement technique de déchets dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif assorti d’une délégation de service public, conclu avec une communauté d’agglomération (établissement public de coopération intercommunale français à fiscalité propre).


L’Administration l’a assujettie à la TFPB à raison de ces installations, ce que la société a vainement contesté devant le TA, lequel a rejeté sa requête en se fondant notamment sur la circonstance que le contrat n’attribuait pas au bailleur la propriété des constructions avant la fin du contrat.


Le Conseil d’État annule la décision du TA, en jugeant que celui-ci s’était référé aux règles du droit civil, sans tenir compte du fait qu’il s’agissait de biens établis sur le domaine public.


On rappelle en effet que, dans le cadre d’une délégation de service public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition.


Il juge ensuite que si, en principe, c’est bien l’emphytéote qui est redevable de la TFPB, c’est à la condition que le bail emphytéotique ait été publié au fichier immobilier au cours des années en cause – ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.


On notera que cette solution, qui découle des règles plus générales relatives aux mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété posées aux articles 1402 [3] et 1403 du CGI [4], n’avait, jusqu’alors, été retenue de manière isolée que par une juridiction du 1er degré (TA Caen, 5 juin 2007, n°05-2428 et 06-2230). Elle nous semble par ailleurs déclinable à tout bail emphytéotique (peu important qu’il s’accompagne ou non d’une délégation de service public).


2e espèce (décision n°449770)


Une société exploitait un centre de traitement des déchets édifié sur un terrain appartenant à un syndicat mixte (établissement public de coopération locale), dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif assorti d’une délégation de service public. Contrairement à la 1re espèce, c’est cette fois à la charge du syndicat mixte que la TFPB a été établie.


Le syndicat mixte a tenté, en premier lieu, de revendiquer l’exonération de TFPB ménagée par le CGI en faveur des propriétés publiques. Les dispositions du 1° de l’article 1382 [5] prévoient en effet que les immeubles des organismes publics (syndicats mixtes compris) sont exonérés de la TFPB lorsqu’ils sont affectés à un service public ou d’utilité générale et non productifs de revenus.


Mais, ainsi que le souligne le Conseil d’État, ces mêmes dispositions prévoient que les immeubles qui sont incorporés gratuitement au domaine de l’État, des collectivités locales ou des établissements publics en vertu de contrats de concession ou d’occupation temporaire sont imposables jusqu’à l’expiration de ceux-ci.


Or, comme on l’a rappelé précédemment, dans le cadre d’une délégation de service public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Au cas d’espèce, le bail stipulait de surcroît expressément que la propriété des biens revenait gratuitement au syndicat mixte requérant.


Le Conseil d’État juge par ailleurs, une nouvelle fois, que si l’emphytéote est en principe redevable de la TFPB, ce n’est qu’à la condition que le bail emphytéotique ait été publié au fichier immobilier au cours des années en cause – ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce, de sorte que la TFPB pesait bien sur le syndicat mixte bailleur.


  • CE, 11 mars 2020, n°449460 [6]
  • CE, 11 mars 2020, n°449770 [7]