Troppmann, le crime de Pantin. Avocat: Me Charles Lachaud,1869

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Auteur : Me Emmanuel Pierrat
Extrait du livre "Les grands procès de l'Histoire - De l'affaire Troppmann au procès d'Outreau" . Editions de la Martinière




20 SEPTEMBRE 1869: DÉCOUVERTE DE SIX CADAVRES ENTERRÉS DANS UN CHAMP 
23 SEPTEMBRE 1869: ARRESTATION DE JEAN-BAPTISTE TROPPMANN 
28 DÉCEMBRE 1869: OUVERTURE DU PROCÈS DE JEAN-BAPTISTE TROPPMANN 
31 DÉCEMBRE 1869: PLAIDOIRIE DE ME CHARLES LACHAUD, PUIS VERDICT : CONDAMNATION À MORT 
19 JANVIER 1870: EXÉCUTION DE JEAN-BAPTISTE TROPPMANN

Jean-Baptiste Troppmann, photographie de Jules Verrier,1869 Les victimes de Pantin


C'est en toute logique que l'affaire Troppmann ouvre cet ouvrage consacré aux grands procès judiciaires de l'ère moderne. Car «le crime de Pantin », ainsi qu'il est convenu d'appeler ce dramatique fait divers survenu en 1869, a, en quelque sorte, inauguré les liens sulfureux entre faits divers et forts tirages de journaux. S'il est bien une affaire dont on peut dire, littéralement, qu'elle a « défrayé la chronique », c'est celle-là.

Rappelons d'abord que c'est en 1836 qu'Émile de Girardin lance La Presse, le premier quotidien « populaire » français, résolument bon marché grâce à l'apparition de placards publicitaires - alors nommés des « réclames ». Très vite, La Presse, qui appâte ses lecteurs avec des romans-feuilletons, se vend à plus de soixante mille exemplaires, un chiffre considérable pour l'époque.

Mais, si le roman-feuilleton (comme les fameux Mystères de Paris, d'Eugène Sue, qui paraissent à partir de 1842 dans le Journal des débats) flatte souvent le goût du public pour le macabre et le sensationnel, les « vrais » crimes occupent à cette époque très peu de place dans les journaux. En fait, ils n'y sont présents qu'à travers les comptes rendus d'audiences : le fait divers est tributaire de la chronique judiciaire; et le public n'y a donc accès qu'en différé.

Avec le crime de Pantin, pour la première fois, une affaire sera entièrement couverte en «temps réel », depuis la découverte du crime jusqu'à son épilogue : le châtiment de l'assassin. Un journal, notamment, joue un rôle d'en-traînement, obligeant tous ses confrères à l'imiter pour ne pas perdre leurs lecteurs : c'est Le Petit Journal. Il a été fondé le ter février 1863 par Moïse Polydore Millaud, un touche-à-tout à la fois journaliste, banquier et entrepreneur de presse. Millaud tâte déjà du fait divers depuis 1839, année où il a créé L'Audience, journal qui, comme son titre l'indique, relatait des comptes rendus de procès.

Son Petit Journal a de plus grandes ambitions : c'est le premier quotidien vendu un sou (cinq centimes), soit moitié moins que ses concurrents. Pour une raison très simple : Le Petit Journal est apolitique (les journaux parlant de politique, c'est-à-dire tous, étaient alors tenus de payer un droit de timbre de cinq centimes qu'ils répercutaient sur leurs acheteurs). Faute de politique, Le Petit Journal se rabat sur les émotions fortes et le suspens. C'est dans ses pages que paraissent en feuilleton les premiers romans policiers français, signés Émile Gaboriau, dont le personnage de l'enquêteur Lecoq inspirera Conan Doyle pour son Sherlock Holmes. Grâce, notamment, à, Gaboriau, mais aussi, à partir de 1866, au progrès technique apporté par l'invention d'Hippolyte Marinoni - la « machine cylindrique à papier continu », autrement dit la rotative, dont Le Petit Journal est l'un des premiers titres de presse à bénéficier -, le quotidien de Moïse Millaud atteint déjà, au printemps 1869, une diffusion de deux cent cinquante mille exemplaires, record absolu de la profession. Et, six mois plus tard, l'affaire Troppmann va permettre de doubler ce chiffre...

Il faut dire que le crime de Pantin est macabre à souhait pour passionner les foules Les rédacteurs du Petit Journal le comprennent immédiatement et, loin d'attendre le procès comme c'est d'ordinaire la règle, pour en rendre compte, ils procèdent d'emblée à une spectacularisation de ce fait divers, suscitant une exaltation qui se communiquera aux autres journaux et à la société française tout entière. Chaque article du Petit Journal consacré au crime de Pantin est d'ailleurs signé d'un pseudonyme collectif : «Thomas Grimm ».

Assassinat de Pantin, Nouvelle imagerie d'Epinal, n°2, gravure aquarellée, vers 1869

Les faits, d'abord. Ils débutent le lundi 20 septembre 1869, comme le rapportera dès le lendemain Le Petit Journal : «Lundi matin, à 5 h, un sieur Langlois, cultivateur, se rendait avec ses outils de travail sur sa propriété voisine de Pantin, à l'endroit dit le Chemin-Vert. Arrivé sur la lisière d'un champ ensemencé de luzerne, il remarque tout à coup une mare de sang. Tremblant, ému, sous le coup d'un sinistre pressentiment, il écarte la terre avec un de ses outils. Il met au jour un foulard. Il fouille encore et bientôt il se trouve en présence d'un cadavre...»

À peine moins lyrique, l'acte d'accusation, tel qu'il sera lu lors de la première audience du procès de l'assassin, le mardi 28 décembre 1869, confirme les détails les plus horribles dont s'est repue la presse : «Le lundi 20 septembre, entre 7 et 8 h du matin, le sieur Langlois, cultivateur à La Villette, se rendait à son travail, en suivant, sur le territoire de la commune de Pantin, un sentier dit le Chemin-Vert, lorsqu'il remarqua, dans un champ de luzerne, de larges traces de sang, dont une traînée, mêlée de fragments de cervelle, paraissait se diriger vers un champ voisin récemment labouré. Dans ce champ, près du bord, le coin d'un mouchoir sortait de terre. Langlois remua légèrement le sol à cet endroit et aperçut une tête humaine. Il courut avertir l'autorité. Une fouille fut organisée et amena la découverte de six cadavres encore tièdes. Une femme et cinq enfants, quatre garçons et une petite fille, avaient trouvé peu d'heures auparavant la mort dans ce lieu désert. [...] Aucun signe n'indiquait que les victimes eussent lutté avec leur agresseur. Tout se réunissait, au contraire, pour démontrer qu'elles avaient reçu à l'improviste des coups immédiatement mortels. [...] Les hommes de l'art qui procédèrent à l'autopsie des cadavres constatèrent d'horribles lésions. La femme, frappée par-derrière au col avec un long couteau, avait dû succomber presque instantanément. L'assassin, cependant, s'était acharné sur son corps qui portait plus de trente blessures. Les deux plus jeunes enfants avaient été tués de la même manière. Les trois autres avaient été comme assommés à l'aide d'une arme à la fois lourde et aiguë, deux d'entre eux avaient, en outre, à la gorge des traces de strangulation. Leurs crânes enfoncés, leurs visages défigurés, leurs yeux arrachés des orbites et leurs fronts traversés comme par la pointe d'une pioche, attestaient la férocité avec laquelle ils avaient été massacrés. Les intestins de la petite fille sortaient par une plaie béante... »

Dès la découverte des six cadavres - la plus jeune enfant, la petite Marie, n'a que deux ans -, l'émoi est considérable dans tout Paris. C'est d'ailleurs la propagation immédiate de la nouvelle qui va permettre l'identification rapide des victimes. Des employés de l'Hôtel des Chemins de fer du nord, boulevard de Denain, font le rapprochement : la veille au soir, une dame Kinck, venue de Roubaix avec ses cinq enfants, est descendue dans leur établissement, où elle pensait retrouver son mari, Jean, et leur fils aîné, Gustave. La femme est ressortie peu après, avec ses cinq enfants, et n'a pas réapparu. Mis en présence des corps, les employés de l'hôtel les reconnaissent for-mellement. Les soupçons, bien sûr, se portent aussitôt sur le mari et le fils aîné. Un enchaîne-ment de circonstances va permettre l'arrestation du vrai coupable.


Vue du procès prise du banc des témoins, gravure de J.-M. Valnay parue dans le supplément du journal le Voleur, n°687, 31 décembre 1869


Le jeudi 23 septembre, au Havre, le gendarme Ferrand décide de contrôler un homme dont les agissements lui paraissent suspects. L'inconnu est arrivé en ville au soir du 20 septembre et il cherche, par tous les moyens, à s'embarquer au plus vite sur un bateau en partance pour l'Amérique. Prenant peur, il essaie d'échapper au gendarme Ferrand en sautant à l'eau. Un calfat (ouvrier de chantier naval) le repêche in extremis, alors qu'il se noyait. La gendarmesque trouve sur lui le portefeuille de Jean Kinck et divers objets de valeur ayant appartenu à la famille. Il avoue n'être ni Jean Kinck, ni même Gustave. Il s'appelle Jean-Baptiste Troppmann. Il a vingt ans. Mais la nouvelle du crime de Pantin est déjà parvenue jusqu'au Havre. Troppmann sait les soupçons qui pèsent sur le père et le fils aîné : il reconnaît avoir participé au sextuple meurtre, mais désigne Jean et Gustave comme les instigateurs.

Du Havre, Troppmann est transféré dans une prison parisienne. Un nouveau rebondissement survient le 26 septembre. Alors que le champ de luzerne de Pantin est devenu un lieu de pèlerinage pour les badauds, un septième cadavre est déterré dans une partie qui n'avait pas encore été retournée. Le couteau qui l'a tué est encore fiché dans sa poitrine : c'est Gustave. Troppmann, cependant, ne se démonte pas : « Je ne savais pas qu'il l'avait aussi assassiné », dit-il aux enquêteurs, laissant entendre que Jean Kinck a tué son fils aîné après l'avoir enrôlé comme complice de ses crimes. Les enquêteurs, qui pensent à pré¬sent que Troppmann a également supprimé Jean Kinck, orientent leurs recherches en Alsace. Troppmann et Kinck ont en effet en commun d'être tous deux originaires du Haut-Rhin. En outre, Jean Kinck avait quitté Roubaix le 25 août pour se rendre d'abord dans son pays natal, avant de gagner Paris, où sa femme devait ensuite le rejoindre. Les recherches se poursuivent tout le mois d'octobre, sans suc¬cès. Le 12 novembre, Troppmann passe soudain aux aveux : il reconnaît avoir tué Jean Kinck et indique l'endroit où sera retrouvé son cadavre, près de Guebwiller.


Portrait de la famille Kinck, 1869


Le mobile du crime? La cupidité, très banalement. Simple mécanicien, Troppmann, «sombre, susceptible et violent », dira l'acte d'accusation, nourrissait, aux dires de tous ceux qui l'ont approché, des rêves de fortune. Son travail l'a amené à rencontrer Jean Kinck. Un Alsacien d'origine, comme lui. Un mécani¬cien, comme lui. Mais là s'arrête la ressem¬blance : Jean Kinck avait monté sa propre entreprise, qui prospérait. Troppmann ima-gine alors un stratagème pour délester Kinck d'une partie de sa fortune. Las ! La belle machinerie s'enraye. Troppmann ne récolte pour ainsi dire pas un sou, mais s'estime dans l'obligation de supprimer toute la famille, enfants compris, pour se délivrer de témoins possiblement gênants. D'où le massacre.

L'affaire est-elle aussi simple qu'il y paraît? Rien n'est moins sûr. Troppmann reviendra sur ses aveux et jurera qu'il a eu des complices - ce qui rend le crime tout à coup , plus complexe. Tous ceux qui ont voulu, depuis, rouvrir le dossier se sont heurtés à des zones d'ombre. Mis, dans l'atmosphère délé-tère d'un régime - le Second Empire - à l'ago-nie, la justice veut agir vite. Un seul coupable lui suffit. L'instruction est rondement menée. Le procès s'ouvre le 28 décembre 1869, soit trois mois seulement après la découverte des premiers corps. C'est évidemment la cohue. «Dire qu'il y avait foule au Palais de justice, c'est être mille fois au-dessous de la vérité », rapporte l'envoyé spécial du Gaulois dans l'édition du 30 décembre. Et de détailler : « Avant le jour, une mer humaine avait envahi les abords de la cour d'assises. Les galeries, la salle des Pas-Perdus, les préaux, les couloirs étaient assiégés de spectateurs de tout âge, de toute position, de femmes et même d'enfants. [...] Une queue d'avocats, en robes, stationnait, dès l'aube, au pied d'un escalier réservé. Les personnes munies de billets de faveur se frayaient un passage avec la plus grande difficulté vers la porte qui doit leur donner accès dans le prétoire. [..] Cette affluence rappelle assez bien, comme aspect, la foule des premières représentations. En effet, on est venu ici comme au théâtre et les fanatiques des pre¬mières s'y retrouvent en grand nombre. » Les audiences ont lieu dans la nouvelle salle de la cour d'assises, inaugurée quelques mois plus tôt. Les travaux d'agrandissement et de rénovation du palais de justice de Paris, entamés sous la monarchie de Juillet, se poursuivront jusqu'en 1875.

Empruntons encore au Gaulois la description, savoureuse, des lieux : « Quoique plus spacieuse que l'ancienne, elle contient moins de monde. Elle a un aspect fort gai et fort engageant. Il manque un orchestre. Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. Boileau en serait désespéré. Le plafond, peint par Lehmann, ressemble un peu trop à la Vérité sortant du puits; cela donne des distractions aux juges. Le vieux Palais de justice avait une salle des assises très sombre, très enfumée, très étranglée, d'aspect glacial; les murs suin¬taient. Quand le soir venait, et il venait vite, c'était absolument funèbre. Des lampes de style le plus antique luttaient vainement contre l'obscurité; ces lueurs semblaient sai¬gner dans la nuit. Un vénérable christ, terrible comme les christs des vieux peintres espa¬gnols, se dressait derrière le tribunal et se détachait lugubrement dans le clair-obscur. Des lueurs incertaines faisaient saillir les côtes du squelette, les clous sanglants, les longues épines de la couronne; tout cela n'était guère rassurant pour le criminel, et même pour l'in-nocent. Aujourd'hui, quel changement. La cour d'assises s'est transformée au goût du jour : elle est dorée comme un salon bourgeois et le crucifié qui se dresse toujours derrière le tribunal n'a plus rien d'effrayant, au contraire il semble vous dire "On est fort bien ici et ma situation est du dernier confortable". »

Troppmann, sous ces dorures, fait bien pâle figure. Ce n'est pas Lacenaire ! «On voudrait avoir devant soi une de ces figures typiques, portant les stigmates du vice, marquées au signe des passions terribles et lamentables. On voudrait pouvoir découvrir tout d'abord, dans l'auteur d'un crime monstrueux, le monstre. Quel désappointement... » se désole la Gazette des tribunaux.

Les journalistes se raccrochent à un détail censé trahir le «monstre » : les mains de Troppmann, souvent qualifiées d'« énormes » et dont les pouces « anormalement longs » sont presque aussi grands que les autres doigts. Les débats sont aussi rondement menés que l'instruction. Ils s'achèvent, le vendredi 31 décembre, par la plaidoirie de l'avocat de la défense, Maître Charles Lachaud (1817-1882), autrement surnommé le « Roi des assises », l'un des plus grands ténors du barreau du XIXe siècle. Lachaud était réputé pour son éloquence propre à ramollir les cœurs les plus endurcis : « Entre les mains de Lachaud, une affaire criminelle n'était plus une affaire vulgaire et banale, elle changeait de physionomie. On n'y voyait pas seulement un crime, un criminel et l'horreur qu'ils pouvaient inspirer, on reconnaissait dans ce criminel un être humain comme les autres, mu et agité par des passions humaines. » Avec Troppmann, Lachaud ne fait pas exception à sa méthode. Évoquant l'enfance miséreuse de l'accusé, il insiste sur l'amour que celui-ci vouait à sa mère. Troppmann se met alors à sangloter dans son box. Et Lachaud de s'exclamer, face aux jurés : « Vous voyez, messieurs, il pleure, il pleure ! C'est une créature de Dieu, il y a encore dans son cœur un rayon de tendresse.»

Mais ce sont surtout les propos liminaires de sa plaidoirie, lorsqu'il explique pourquoi il a accepté de défendre Troppmann, qui méritent d'être reproduits ici. En quelques phrases admirables, Lachaud dit toute la noblesse du métier d'avocat, et son plaidoyer, intemporel, pour la justice pourrait se réitérer, au mot près, dans n'importe quelle cour d'assises actuelle : « Messieurs les jurés, Troppmann m'a demandé de le défendre ; je n'ai pas cru devoir lui refu¬ser ; c'est donc maintenant un devoir pour moi, et ce devoir je veux le remplir avec conscience. Ceux qui ignorent le caractère de l'avocat [...] ont dû s'étonner de me voir accepter cette tâche. Ceux-là ont dû se dire qu'il y avait des crimes tellement abominables, et des criminels si terribles qu'il n'était pas possible qu'on essayât pour eux les moyens de défense. Ceux-là se sont trompés et, dans leur indignation généreuse, ils ont confondu la justice avec la colère et la vengeance. Moi, je comprends autrement les obligations qui me sont impo¬sées, car je suis convaincu que le législateur a voulu qu'à côté d'un accusé, quel qu'il fût, il y eût toujours une parole loyale et honnête qui vînt se placer près de lui. La loi est toujours calme, elle ne se laisse jamais aller même aux emportements les plus généreux; la vérité n'est possible que quand elle est cherchée et par l'accusateur et par la défense, et c'est à cause de cela que le législateur a compris qu'il y avait une heure où il fallait s'écarter du spectacle sanglant et s'éloigner du champ de carnage, il a compris que tout n'était pas dans la victime et qu'il fallait aussi regarder le coupable.»

Autoportrait original dessiné à la plume, 13 novembre 1869

Mais la pression est trop importante. Toute la belle éloquence de Lachaud ne peut sauver la tête de Troppmann. Les jurés se retirent pour délibérer à 20 h 50. À 21 h 30, ils reviennent déjà ! Troppmann est condamné à mort. L'empereur refuse son recours en grâce, et il est guillotiné le 19 janvier 1870, en présence d'une foule considérable - on parle de vingt-cinq mille personnes ! Les bousculades indécentes qu'entraîne cette exécution provoqueront même un débat à l'Assemblée nationale, et il sera décidé, pour les exécutions ultérieures, de supprimer l'échafaud et les dix marches qui y montent. Désormais, la guillotine sera posée à même le sol.

Le soir de l'exécution, Moïse Millaud, le patron du Petit Journal, donne une réception à laquelle sont conviées plus de cinq cents personnalités du Tout-Paris. Devant ses invités, Millaud porte un toast « à la mémoire de l'assassin, bienfaiteur du journal ». Le 23 septembre, deux jours après la révélation du crime, le tirage du Petit Journal atteignait trois cent cinquante-sept mille exemplaires. Il passa à quatre cent quarante-huit mille exemplaires le 28 septembre, après la découverte du cadavre de Gustave Kinck. Et ce chiffre augmenta encore en octobre et novembre. Durant le procès, ce quotidien du soir... était devenu quotidien du matin (ce qui supposait une logistique folle et dispendieuse) pour mieux rendre compte des audiences. Pendant ces quatre jours, la quasi-totalité du journal était consacrée à l'affaire : les cours de la Bourse n'étaient plus publiés et, ô sacrilège, même le feuilleton d'Émile Gaboriau avait été passé à la trappe. Le numéro du 20 janvier 1870, qui relatait l'exécution de Troppmann, se vendit à près de six cent mille exemplaires...