Commentaire d'arrêt - Cour de cassation le 30 septembre 2020 : Un employeur peut licencier un salarié pour un message privé sur les réseaux sociaux, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (fr)

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France  > Droit privé > Droit social > Droit du travail


Auteur: Me Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris[1] 


Date: le 5 Octobre 2020


Dans un arrêt rendu le 30 septembre 2020, la Cour de cassation déclare qu'un élément extrait du compte Facebook privé d’un salarié est une preuve recevable au soutien de son licenciement (Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058).

Il résulte en effet des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Une salariée avait été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau. Par lettre du 15 mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société. Contestant son licenciement, la salariée avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demande. La Cour d'appel de Paris a validé le licenciement fondé sur une faute grave.

La Chambre sociale de la Cour de cassation précise donc tout d'abord que, si en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la cour d’appel, qui a constaté que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de la salariée, a pu en déduire que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.

Ensuite, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi

Pour la Cour de cassation, la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait bien une atteinte à la vie privée de la salariée.

Mais, la cour d’appel a constaté que, pour établir un grief de divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, l’employeur s’était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité et qu’il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte.

En l’état de ces constatations, la cour d’appel a donc fait ressortir que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

la Cour de cassation précise ainsi les limites à l'atteinte à la vie privée du salarié, qui ne pourra intervenir que sous réserve que la production de l’élément de preuve en question soit indispensable et que l’atteinte soit proportionnée au but recherché.

Attention donc: si votre employeur pourra bien utiliser un message privé pour vous licencier, faudra-t-il encore que le moyen de preuve ne soit pas considéré comme déloyal: ici, c'est le fait que la copie du statut Facebook soit arrivé à l'employeur par le biais d'une personne tierce, et que lui ne s'est pas introduit dans la page Facebook de son employée. Les juges ont considéré qu'un message publié à l'intention de l'intégralité de ses amis sur Facebook est une conception trop large de la "sphère privée". surtout que, parmi les amis Facebook de l'employée licenciée, on trouvait des employés de sociétés concurrentes.

Il est donc plus que jamais recommandé de bien mettre en place très précisément les règles d'utilisation d'internet au sein de l'entreprise, dans une charte internet par exemple ou le règlement intérieur, et de tenir les salariés informés des mesures de surveillance qui pourraient être prises.

Rappel de la règlementation applicable en matière de vie privée au travail et de surveillance par l'employeur, lire notre article: Pas de licenciement sur le fondement de messages issus de la messageie MSN installée sur l'ordinateur professionnel d'un salarié qui sont strictement prive

Retrouvez l'arrêt du 30 septembre 2020 (Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058) https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/779_30_45529.html